• 2- Les sources de la PMEV

    2.1 – LA PÉDAGOGIE DE MAITRISE


    2.1.1 – IDÉES DIRECTRICES


    La pédagogie de maîtrise (Mastery Learning) est née aux U.S.A. dans les années 60. Elle a été connue en France grâce à la traduction des travaux de Bloom. Selon Bloom, chaque élève est apte à se construire n'importe quel bagage, tant notionnel que conceptuel, pour autant qu'on respecte son rythme d'apprentissage. Le postulat fondamental sous-jacent à cette thèse est le suivant : la plupart des élèves devraient être capables de s'approprier ce qui est enseigné, pour autant que les conditions d'enseignement soient optimales pour chacun d'eux. Dans le respect des individualités, l'école devrait ainsi se faire le vecteur idéalement démocratique de la transmission du savoir. Si l'école échoue, c'est que ces conditions optimales ne sont pas remplies, que les différences individuelles ne sont pas respectées. Bloom conclut donc à la nécessité d'une pédagogie qui prenne en compte les différences : il pose les premières pierres des théories qui développeront par la suite cette idée de pédagogie différenciée qui ne concerne guère alors, dans son esprit, que des considérations relatives au temps d'apprentissage.

    Bloom met l'efficacité au centre de son discours. Insistant sur le temps individuel d'apprentissage, la pédagogie de maîtrise cherche ainsi à remotiver l'enfant (ou à maintenir sa motivation à un bon niveau !), en suivant au mieux l'évolution de son développement.

    Michel Monot écrit : " Pour Bloom, qui se souciait surtout d'efficacité, le temps requis pour maîtriser un contenu est la caractéristique individuelle fondamentale qu'il faut retenir en situation scolaire. Citant une enquête internationale, Bloom montre qu'un élève moyen, enseigné pendant 12 ans, ne maîtrise que les contenus correspondant à 8 ans d'enseignement. La Pédagogie de Maîtrise postule que l'on peut éviter cette énorme perte de temps, et Bloom fait l'hypothèse que l'on n'observerait pas des écarts aussi importants si l'école tenait compte de trois variables :
    le degré de maîtrise dans les pré-requis nécessaires à tout apprentissage nouveau ;
    le degré de la motivation à apprendre ;
    la qualité de l'enseignement, appréciée en particulier sur l'aptitude à mettre en œuvre les deux facteurs précédents.

    Pour Bloom, la pédagogie de maîtrise n'était pas révolutionnaire et n'appelait pas d'importants développements théoriques. Elle devait surtout chercher à provoquer chez les élèves des changements d'attitudes, ce qui était déjà la préoccupation majeure de Freinet. Il affirmait que "le talent peut être développé", préfigurant en quelque sorte le courant moderne de l'éducabilité cognitive, mais sans entretenir d'illusions sur la possibilité de modifier les intelligences.

    Les idées directrices de la Pédagogie de Maîtrise sont donc les suivantes :
    1°) - la clarté des objectifs : ils doivent être précis et accessibles.
    2°) - le renforcement de l'effort et du travail.
    3°) - la variété des supports didactiques.
    4°) - le dépistage formatif, rapide et non sanctionné, des lacunes et des difficultés, suivi d'une remédiation.
    5°) - une évaluation critérielle et non comparative.
    6°) - du temps pour apprendre, avec une aide appropriée, par des intervenants supplémentaires.
    7°) – la décomposition du processus en trois étapes : enseigner – évaluer - remédier.
    8°) – le principe moteur est dans le feed-back fourni par l'évaluation formative et les activités de remédiation qui en découlent. "

    Pour Paul Perrault, professeur à l'Université du Québec, " La Pédagogie de maîtrise est souvent représentée comme une réponse à la double marche à l'aveugle à laquelle conduisaient la pédagogie traditionnelle d'une part et la pédagogie nouvelle de l'autre, aveuglement de l'élève quant aux objectifs poursuivis par l'enseignant dans le premier cas, aveuglement du maître dans le second quant à la manière de raccrocher entre eux les fragments de connaissances ainsi acquis " à la cueillette " par l'étudiant dans les formes d'enseignement basées sur les seuls besoins et intérêts de l'élève (Bloom, 1979). Un énoncé clair des objectifs à maîtriser facilite en effet grandement le parcours de la matière pour les étudiants, d'autant plus si celui-ci s'opère à une certaine distance de l'enseignant. Si l'enseignant précise en plus, l'importance qu'il attribue à la maîtrise de telle ou telle unité, par l'indication du niveau taxonomique des comportements de maîtrise (Bloom, 1975) ou par la spécification d'une indication du temps de travail conseillé pour parvenir à cette maîtrise, l'aide ainsi apportée devrait être de nature à répondre au besoin d'aide à l'appréciation du temps requis par les apprentissages à réaliser et de l'importance relative des différents éléments à connaître.

    La pédagogie de maîtrise invite également à fournir à l'étudiant des indications utilisables pour connaître sa propre progression dans les apprentissages. Par des tests réguliers, taillés sur mesure pour couvrir les objectifs visés, l'enseignant permet à l'étudiant d'être renseigné très précisément sur sa progression, et se donne les moyens de suivre lui-même les progrès individuels mais aussi de repérer rapidement toute difficulté majeure rencontrée par ces étudiants dans tel ou tel secteur de la matière. "

    2.1.2 – LA P.M " ÉLARGIE "


    La recherche d'une adaptation aux structures et à la réalité quotidienne d'un enseignement de masse a conduit les chercheurs de la Faculté des Sciences de l'Education de Genève à définir une Pédagogie de Maîtrise " élargie " : dans un ouvrage publié en 1988 , les héritiers de Piaget, qui ont fait une critique constructiviste des travaux américains sans les condamner a priori, suggèrent, sans avoir pu tout à fait concrétiser leurs objectifs :
    1°) – de moins chercher à définir des actions de remédiation que de construire un contexte d'auto-apprentissage ;
    2°) – d'intégrer des éléments du travail préceptoral (régulations interactives maître-élève) ;
    3°) – d'organiser l'enseignement pour obtenir une pleine utilisation du temps ;
    4°) – de susciter l'engagement des élèves ;
    5°) – de prendre en compte les rythmes pour les optimiser ;
    6°) – de déléguer partiellement l'évaluation à l'élève : c'est une évaluation formatrice (d'où l'importance de bien définir les objectifs).
    7°) – de mettre en place un processus de régulation dans une conception constructiviste de l'apprentissage.
    8°) – de recourir à d'autres éclairages théoriques, à d'autres expériences, pour pouvoir " passer à l'acte " comme dit Huberman, car tous ces auteurs sentent que LA solution est là mais qu'on ne la tient pas encore.

    Car, pour Linda Allal, membre de l'équipe suisse, il s'agit donc, tout en essayant d'élargir le concept initial de la Pédagogie de maîtrise, d'en conserver au moins trois aspects essentiels :
    1°) la finalité, visant à un niveau élevé de réussite chez un maximum d'élèves,
    2°) la rigueur et le sérieux avec lesquels les stratégies classiques de Bloom et ses collaborateurs ont été construites et appliquées,
    3°) le rôle systématique accordé aux procédés de feed-back et de régulation, qui explique sans doute les effets positifs de la P.M. classique.

    Autrement dit, mettre en œuvre une pédagogie de maîtrise plus cohérente avec les principes des "nouvelles didactiques" et avec les théories constructivistes de l'apprentissage, ne signifie pas abandonner le souci d'efficacité et le sens des responsabilités envers les élèves qui ont marqué le travail antérieur dans ce domaine. "

    Elle ajoute : " S'il veut faire mieux et devenir plus efficace, le maître doit d'abord se mettre en retrait et observer les élèves… Dans le contexte habituel de la classe, plusieurs contraintes limitent l'action préceptorale de l'enseignant. Le maître ne peut guère intervenir auprès de chaque individu ou sous-groupe d'élèves à chaque instant. Il est donc essentiel que les élèves apprennent à gérer des activités d'apprentissage seuls, sans l'intervention ou la supervision constante de l'adulte. Le développement d'une telle capacité chez les élèves est en fait une condition indispensable pour le développement d'une pratique d'observation et d'intervention individualisée. Autrement dit, si l'on veut éviter que la régulation des processus d'apprentissage ne dépende exclusivement que des effets - positifs mais nécessairement épisodiques - de l'intervention des enseignants, il faut que les situations d'apprentissage elles-mêmes soit structurées de manière à favoriser les interactions constructives entre les élèves et avec le matériel didactique. L'étude de ces régulations " gérées par les élèves " me semble primordial pour la conception d'une Pédagogie de maîtrise élargie, susceptible de fonctionner dans la réalité quotidienne de la classe. "

    2.1.3 – APPORTS POUR LA PMEV


    Pour Michel Monot, la méthode dont il est l'initiateur vise à mettre en pratique les suggestions des chercheurs suisses :
    1°) L'intégration des éléments du travail préceptoral : L'instauration de phases de travail individualisé permettra au maître de se rendre disponible pour des entretiens en tête-à-tête avec des enfants venant lui présenter leur travail. Ces entretiens permettront une approche fine des cas individuels qui rappelle - toutes proportions gardées - le travail préceptoral.

    2°) Une régulation intervenant dès le début de la période d'apprentissage, permettant à l'enfant de recueillir, dès qu'il amorce son apprentissage, les éléments d'information dont il a besoin.

    3°) Mise en place d'une régulation proactive : Pour Linda Allal, cette idée de régulation pro-active , qui n'apparaît pas chez Bloom, " recouvre, entre autres, l'idée que l'enseignant peut être amené à renoncer à la remédiation des erreurs s'il pense que la consolidation ou l'approfondissement des compétences des élèves se fera mieux dans un nouveau contexte que par la reprise d'une tâche non réussie, ou par la ré-étude de la matière non comprise. "

    La PMEV va reprendre cette idée en cherchant le moyen de faire aborder chaque notion du programme plusieurs fois et de manières différentes, avec des exemples différents, et selon un point de vue différent. Un enfant qui n'a pas très bien compris la première fois trouvera donc d'autres occasions de comprendre, rendant par-là inutile une insistance trop lourde à la première explication, dont on sait qu'elle entraîne souvent des décrochages néfastes. L'efficacité du dispositif, qu'il faut aussi rapporter aux éclairages de Stella Baruk sur ce qu'elle appelle " les allers et retours de sens ", est indéniable. Sa mise en œuvre se montre en outre beaucoup moins contraignante que celle de la Pédagogie de Maîtrise pratiquée initialement aux États-Unis.

    Pour Michel Monot, " le problème de l'efficacité de l'enseignement apparaît bien ici comme un problème d'organisation de la classe et de gestion du temps quotidien.

    Il faut comprendre que le problème du temps accordé à l'élève pour apprendre, comme celui du temps qu'il investit effectivement dans sa tâche, sont en fait indissociables de la manière dont le maître organise sa classe.

    Qualitativement, s'il veut optimiser son rôle, le maître doit bien choisir ses cibles et ses interventions, et pour cela se donner d'abord du temps pour pouvoir effectivement observer et analyser - c'est-à-dire évaluer - comme le suggère pertinemment une option majeure, mais peu exploitée, des Instructions Officielles sur les cycles ". Quantitativement, des plages horaires importantes doivent être affectées au travail individuel et à la régulation entre élèves pour que le maître puisse les analyser et intervenir à bon escient.

    Philippe Perrenoud : lutter contre l'ennui : Dans l'ouvrage collectif des chercheurs suisses, Philippe Perrenoud écrit : " Les travaux expérimentaux semblent indiquer que la satisfaction des élèves est plus grande dans un système de pédagogie de maîtrise que dans les classes pratiquant une pédagogie traditionnelle… la pédagogie de maîtrise peut accroître le sens du travail scolaire dans la mesure où elle ajuste le niveau de la tâche et la démarche d'apprentissage aux caractéristiques de l'élève. Elle peut donc lutter contre l'ennui, le désinvestissement, le dégoût de l'école, lorsqu'ils viennent de l'impression, soit de perdre son temps (parce qu'on sait déjà ou qu'on pourrait apprendre tout seul ce qu'on vous enseigne laborieusement ou longuement), soit au contraire d'être mis du matin au soir en demeure d'écouter des explications incompréhensibles ou de faire des exercices "impossibles". Une pédagogie différenciée devrait effectivement donner envie d'apprendre du seul fait que l'élève a le sentiment de maîtriser son travail et de recevoir de l'aide au bon moment et sous une forme appropriée. "

    C'est pour pallier cet inconvénient que la PMEV va reprendre les propositions de Reuchlin et de Bandura, en apportant à la Pédagogie de Maîtrise, selon Michel Monot, " une innovation essentielle : la nécessité pour les élèves d'échanger entre eux pour prendre des repères, qui répond par ailleurs à leurs besoins profonds : besoin de communication avec les pairs et besoin d'accomplissement."

    Jean Cardinet : l'importance de l'interactivité et de l'auto-évaluation : Dans le même ouvrage, Jean Cardinet, chercheur à l'Institut Romand de Documentation Pédagogique met en évidence l'importance de l'interactivité et de l'auto-évaluation :

    " Les formulations des élèves sont en effet plus explicites si ces derniers doivent les produire en interagissant avec une autre personne, par exemple s'ils travaillent à deux, et s'ils ont besoin de communiquer des informations par écrit à des tiers. C'est sans doute les échecs de leur première tentative de communication qui leur apprennent l'importance d'une formulation claire et sans équivoque pour le destinataire. "

    " Au lieu du pilotage des remédiations depuis l'extérieur, l'approche interactive peut être intériorisée par l'élève si ce dernier est amené à effectuer lui-même la démarche des feed-back correction. L'auto-évaluation est en effet le meilleur moyen pour lui de prendre conscience de sa distance à l'objectif et de ressentir un conflit cognitif mobilisateur. La phase essentielle de l'interaction est l'explicitation par le maître des critères de l'atteinte de l'objectif et l'entraînement des élèves au repérage de ces critères, Cette progression systématique vers l'auto-évaluation se confond en fait avec la progression vers la maîtrise, car l'élève peut réaliser en général la performance visée s'il est capable de voir par lui-même les critiques que l'on peut faire à son travail initial et s'il voit comment corriger les points faibles. Au lieu d'intérioriser plus ou moins consciemment l'appréciation globale que l'enseignant porte sur ses capacités, l'élève devient capable d'un jugement critique et différencié sur lui-même

    L'apprentissage de l'auto-évaluation est ainsi plus qu'une technique accessoire d'évaluation. C'est le moyen essentiel dont on dispose pour faire passer la connaissance de l'élève d'un simple savoir-faire non réfléchi, purement opératoire, à un savoir réfléchi, permettant d'intervenir consciemment sur ce savoir-faire lui-même. Seul cet apprentissage de l'auto-évaluation peut donner accès à l'autonomie, objectif ultime de toute éducation.

    On voit ainsi que le progrès de la communication entre le maître et les élèves, l'approfondissement de leurs échanges constituent la stratégie pédagogique globale qui rend compte de chaque étape de la démarche corrective mais aussi, à travers ses étapes, de la logique d'ensemble de tout apprentissage. "

    Daniel Gaonac'h : se construire des attentes : En 1995, dans un ouvrage collectif, " Manuel de psychologie pour l'enseignement " Daniel Gaonac'h, professeur à l'Université de Poitiers, écrit : " Nous analysons nos propres comportements, nous les jugeons à nos propres normes, et ainsi nous les renforçons ou les punissons nous-mêmes. Le "sentiment de réussite", ou simplement le "sentiment du travail bien fait", font bien partie de ce que nous ressentons dans les situations de travail. Ils supposent que soit effectif un élément essentiel : que le sujet se soit construit des attentes relatives à ses performances.

    La Pédagogie Par Objectifs prend en compte cet aspect des apprentissages : un moteur essentiel des acquisitions est la possibilité pour le sujet de construire des représentations précises et sûres de ce qu'on attend de lui, et de percevoir comment il progresse par rapport à ces attentes. C'est une des hypothèses d'apprentissage sous-jacentes à la P.P.O (elle n'est pas toujours explicite dans les textes qui préconisent le recours à une P.P.O : les mécanismes d'apprentissage, y compris tels qu'ils ont été analysés par les behavioristes, supposent, chez les êtres humains, la possibilité de prendre en compte les objectifs assignés à la situation d'apprentissage. "

    Pour Michel Monot, " ces précisions de Goanac'h permettent de mieux comprendre le décalage survenu en France par rapport au modèle américain et au concept d'apprentissage social. La PMEV s'efforce de prendre en compte les points soulevés par cet auteur. Elle prévoit des moments qui permettent à l'élève :
    de se construire des représentations précises et sûres de ce qu'on attend de lui,
    de recueillir les éléments qui lui permettent d'ajuster peu à peu ses représentations préalables et de percevoir comment il progresse par rapport à ses attentes.

    Michel Huberman : la PM n'est pas un catalogue de banalités déjà connues. Pour conclure avec Michael Huberman, auteur et coordinateur de l'ouvrage collectif des chercheurs suisses, la Pédagogie de Maîtrise n'est en rien, comme ont pu le dire certaines critiques, la remise à l'ordre du jour d'un catalogue de banalités déjà connues. Pour lui, : " Il est bien vrai qu'une relecture attentive de Pestalozzi, de Froebel, de Dewey, ferait ressortir les mêmes principes que ceux évoqués dans le cadre de la Pédagogie de Maîtrise. Il y a toutefois aussi quelques différences essentielles.

    D'une part, le modèle de maîtrise est nettement plus systémique : il cherche à cerner l'ensemble des dispositifs pédagogiques plutôt qu'à accentuer l'une ou l'autre de ses composantes. Il cherche également à lier chaque composante au rythme, au degré ou aux motivations à l'apprentissage chez l'élève. D'autre part, ce dispositif repose sur des bases empiriques sensiblement plus solides, plus précises, plus systématiquement recherchées, prenant en compte davantage de contenus et de contextes que celles sur lesquelles pouvaient se fonder les grands pédagogues. Par ailleurs, cet argument n'est pas nécessairement négatif : une grande convergence entre les écrits des anciens et des modernes ne peut être que réjouissante pour ceux qui recherchent une validation concurrente."

    2.2 – L'APPRENTISSAGE VICARIANT


    Bandura, Reuchlin, Winnykamen, Gaonac'h

    Parmi les apprentissages cognitifs, qui supposent l'établissement d'une représentation mentale, dépassant ainsi le simple lien stimulus-réponse , on trouve " l'imitation vraie " qui suppose que l'imitation du comportement s'accompagne de la compréhension de la situation. Il se distingue donc de la simple imitation sans compréhension. Chez les animaux, l'imitation " vraie " n'existe que chez les pieuvres et les primates.
    La pieuvre peut ainsi apprendre à dévisser le bouchon d'une bouteille pour prendre le crabe qui est à l'intérieur si on lui en fait la démonstration.
    Dans l'expérience des chimpanzés de Köhler, on avait pendu des bananes au plafond de la cage du chimpanzé. Ayant des caisses à sa disposition, l'animal avait empilé les caisses pour atteindre les fruits.. Lorsqu'on montre l'expérience en vidéo à un autre animal, celui-ci trouve immédiatement la solution.

    Bandura : " vicarious learning "

    Bandura a développé le concept de " vicarious learning " (apprentissage indirect) dans le cadre de la reformulation de la théorie de l'apprentissage social élaborée par Miller et Dollard en 1941, théorie qui considérait que l'apprentissage par observation (modeling) était l'une des sources les plus fécondes de l'apprentissage humain. François Larose, professeur et co-directeur du Centre de recherche sur l'intervention éducative de l'Université de Sherbrooke au Québec, écrit : " Bandura (1971) se démarque du modèle original de Miller et le Dollard en ajoutant un troisième modèle d'apprentissage se distinguant de l'apprentissage par essai-erreur (dans une perspective opérante skynnerienne typique). C'est ce qu'il identifie en tant que vicarious learning, ou en traduction littérale, apprentissage indirect, qui se fonde non sur l'action ou l'observation comportementale directe mais potentiellement sur l'observation "symbolique". L'exposition à des séquences descriptives orales de conduites et des conséquences de ces dernières en est un exemple. Dans les sociétés "traditionnelles" autochtones, le rôle du conte, des légendes, de l'exposition aux récits de chasse des anciens, par exemple, peuvent en illustrer le principe. On ne présume pas que les séquences racontées sont directement reproductibles mais on présume que les sujets apprenant qui y sont suffisamment exposés sauront identifier des règles de généralisation de conduite appropriées à certaines catégories de situations auxquelles ils n'ont pas été préalablement exposés. Comme le vecteur (l'ancien) est reconnu compétent ou expert, l'effet de l'apprentissage sera renforcé. "

    Wynnikamen : l'apprentissage socio-constructif par observation

    L'idée " d'un apprentissage socio-constructif par observation " est également développée, en 1990, par Fayda Wynnikamen, Professeur à l'Université René Descartes (Paris V), dans son ouvrage " Apprendre en imitant ? ". Il écrit : " Par exemple, grâce à une procédure d'imitation-modélisation interactive, il est possible de faire assimiler par des enfants en situation d'échec scolaire caractérisé un algorithme aussi difficile que celui de la division arithmétique. Du même coup se modifie, dans le bon sens, leur jugement d'efficacité personnelle

    " Rendre les procédures de résolution observables constitue la condition minimale pour contrôler la validité d'un mécanisme d'observation-imitation pour l'acquisition de ces procédures. "

    " Une importante question concerne les modes de fonctionnement dyadiques, ou en petits groupes, qui permettent la progression. Ces modes de fonctionnement pourraient favoriser l'activation, la dynamisation du sujet ou des sujets apprenants. Le traitement des informations utiles, après leur sélection, peut mobiliser tel ou tel mécanisme. "

    " Par exemple, en conformité avec les analyses de Gilly, les confrontations inter-individuelles aident au fonctionnement dialectique de la pensée individuelle. "

    " Au plan de l'acquisition des connaissances,... La régulation inter-individuelle se fait nécessairement dans le sens d'une plus-value cognitive, plus-value déterminée par les efforts de l'imitant, mais aussi par ceux du modèle. "

    Maurice Reuchlin : le rôle de l'observation

    En 1990, Michel Monot écrivait : " Albert Bandura, inventeur du concept d'apprentissage vicariant est un auteur peu connu en France. Son ouvrage sur " l'apprentissage social ", publié aux Editions Mardaga en 1986, a connu une diffusion ordinaire, au point que le concept d'apprentissage vicariant est resté longtemps inconnu de maints professionnels et donc inexploité. A fortiori, le rapprochement que cet ouvrage pourrait autoriser avec certaines interrogations de Maurice Reuchlin - elles-mêmes restées très confidentielles – sur le même sujet reste donc à explorer.

    Pour la plupart des théories de l'apprentissage comme pour l'observateur ordinaire, ce qu'on appelle apprentissage ne peut se faire qu'en accomplissant une action et en faisant l'expérience de ses conséquences.

    Pas plus que Reuchlin, Bandura ne rejette cette évidence, mais il observe avec pertinence que cette vision très consensuelle ne recouvre pas toutes les réalités de l'apprentissage. Pour lui ces apprentissages par expérience directe surviennent en fait le plus souvent sur une base vicariante, c'est-à-dire en observant le comportement des autres et les conséquences qui en résultent pour eux. L'apprentissage vicariant ne dispense certes pas dans tous les cas de l'expérience directe, mais il permet le cas échéant de la faciliter et incite à s'y investir si les conséquences observées sont positives.

    Le fait de pouvoir apprendre par observation rend en effet les individus capables d'acquérir des comportements ou des savoir-faire sans avoir à les élaborer graduellement par un processus d'essais et d'erreurs, affirme Bandura, qui se démarque ainsi des thèses habituellement béhavioriste des anglo-saxons.

    La théorie de l'auto-efficacité se situe dans le prolongement de l'analyse précédente. Selon cette théorie, définie par Bandura, la perception qu'a un individu de ses capacités à exécuter une activité influence et détermine son mode de pensée, son niveau de motivation et son comportement. Bandura prétend que les personnes cherchent à éviter les situations et les activités qu'elles perçoivent comme menaçantes, mais elles s'engagent à exécuter les activités qu'elle se sentent aptes à accomplir.

    Pour Bandura, l'expérience vicariante, c'est-à-dire l'opportunité de pouvoir observer un individu similaire à soi-même exécuter une activité donnée, constitue une source d'information importante influençant la perception d'auto-efficacité. Cette expérience vicariante vaut pour les adultes comme pour les enfants, dans le domaine professionnel comme dans le domaine scolaire, voire dans bien d'autres domaines, y compris médical.

    L'apprentissage vicariant fonctionne à l'école élémentaire d'une manière que l'on pourrait dire naturelle mais peu cohérente, et parfois à l'insu du maître. En voici des exemples, très connus mais plus complexes qu'on ne le croit, pour lesquels il conviendrait de distinguer ce qui relèverait de l'imitation pure, de l'apprentissage socio-constructif, ou par observation :
    malgré les interdits, les élèves ne se privent pas de prélever des indices utiles en observant le travail des meilleurs d'entre eux. Ce procédé est condamné, mais il faut s'interroger : sait-on quel est le poids relatif de ces pratiques jugées illicites dans l'acquisition effective des connaissances réglementaires ?
    l'apprentissage vicariant est présent incognito dans certaines pratiques courantes : correction au tableau par un élève qui a réussi, recours à des corrigés modèles, lecture d'une bonne copie par le. Mais cette pratique enseignante peut-être interpellée : son rendement pourrait être meilleur si elle était clarifiée. "

    Michel Monot : l'apprentissage vicariant dans le contexte scolaire

    Michel Monot peut donc écrire :
    1 - L'apprentissage vicariant pourrait correspondre, dans le contexte scolaire, et pour simplifier, à ce que l'enfant peut apprendre en marge du discours du maître proprement dit. En regardant faire et en écoutant ceux qui savent faire ou en train d'apprendre, ou encore, par extension, en analysant la production de ceux qui savent faire.

    2 - Maurice Reuchlin avait incidemment mentionné l'intérêt pédagogique potentiel du processus : " C'est l'un des domaines où la contribution de la psychologie de l'apprentissage à la pédagogie semble pouvoir être importante", écrivait-il avant de préciser : "il semble que la période d'observation permette au sujet de dégager les aspects pertinents de la situation et de faire porter alors immédiatement ses propres essais sur ses aspects. "

    3 – L'observation des classes confirme l'existence du phénomène mais révèle en même temps l'ambiguïté de son statut. Les maîtres y ont recours, parfois intuitivement, parfois en invoquant un utile processus d'imprégnation, mais ils condamnent dans le même temps l'usage spontané que peuvent en faire les élèves lorsqu'ils cherchent à "prélever un indice" sur le travail de leurs voisins.


    4 – L'enseignant qui fait lire une bonne copie d'élève pour servir de modèle invoque l'utilité de l'imprégnation, processus assez mal défini qui justifierait de même, en lecture, le recours aux "bons auteurs". Mais ce processus est en réalité, dans la définition que nous en avons retenu, celui de l'apprentissage vicariant : l'élève va apprendre, progressivement et intuitivement, à partir du savoir-faire d'autrui, ce que l'enseignant aura parfois du mal à expliciter. Le recours à l'apprentissage vicariant est également de pratique courante dans la conduite des leçons : l'enseignant, pour étayer la progression de son cours, fait appel aux compétences des élèves les plus avancés. Mais lorsqu'un élève, pour étayer son propre cheminement d'apprenti, cherche à prélever un indice sur le travail de son voisin, il est alors accusé de " copiage " et rappelé à l'ordre.

    5 - Un même regard critique doit pas être porté sur la pratique et sur la place de la correction dans les processus d'apprentissage. Bien des élèves ne comprennent la leçon qu'au moment de la correction des exercices d'application qui lui font suite, phase qui met en jeu l'analyse du savoir-faire de l'autre et relève donc de l'apprentissage vicariant. La question peut être posée de l'utilité d'une aussi longue attente, que l'on voudrait studieuse, mais dont le profit intellectuel n'est nullement assuré dans tous les cas. En se gardant de toute interprétation réductrice et caricaturale de telles situations, force est de constater que la correction intervient souvent trop tard. La possibilité de réinvestir les nouveaux acquis risque alors d'être sacrifiée à la poursuite formelle du programme, qui devient pourtant du même coup plus aléatoire ! Le poids de ce vice caché dans la genèse du processus d'échec et de rejet de l'école pourrait être plus important que l'on ne veut bien l'admettre.

    6 - Les intuitions de Maurice Reuchlin entrent ainsi en convergence avec un problème important qui, pour avoir été traité parfois sur le mode tendre (Le Cancre de Prévert), n'en constitue pas moins une question centrale de la pédagogie. En évoquant implicitement le problème du temps d'apprentissage, Maurice Reuchlin rejoint les préoccupations des chercheurs américains du courant Mastery Learning et les cruelles révélations de leurs enquêtes sur le temps investi par l'élève dans sa tâche. Si la reconnaissance institutionnelle des différences de rythme d'apprentissage, désormais acquise en France depuis la "Réforme des cycles", conduit à accorder à chaque élève "tout le temps dont il a besoin pour apprendre", les possibilités réellement offertes à l'enfant varient quantitativement de façon importante d'une classe à l'autre. Mais elles se révèlent surtout défaillantes dans la manière de renforcer qualitativement le "temps effectivement investi dans la tâche". Les propositions de Maurice Reuchlin, qui s'inscrivent dans une perspective relevant à la fois d'une sorte de d'épistémologie de l'école et de la délicate problématique phylogenèse / ontogenèse paraissent pouvoir répondre à cette attente importante. Elles concernent davantage l'organisation du travail d'apprentissage que l'acte d'enseigner proprement dit, nous invitant par-là à interpeller le poids des habitudes et les options qui prévalent, aujourd'hui encore, dans les sphères administratives et pédagogiques.

    7 – L'intérêt potentiel de l'apprentissage vicariant conduit par ailleurs à poser fermement le problème de l'évaluation, de la place que doivent en prendre respectivement les différentes formes dans une conception rationnelle des apprentissages.
    a) - La nécessité de l'évaluation dite " institutionnelle ", que l'on rencontre par exemple dans la tenue régulière des livrets individuels de suivi, ne saurait échapper à personne. Mais son caractère omniprésent et quelque peu envahissant doit cependant être dénoncé avec d'autant plus de vigueur que les parents, dans un souci légitime de suivre le travail de leurs enfants, tendent à en accentuer les effets pervers. Évaluer un apprentissage en train de se faire est un non-sens pédagogique total, qui se rencontre pourtant fréquemment du fait d'une interprétation quasi irresponsable des exigences de l'évaluation institutionnelle. Cette hargne évaluative (Stella Baruk) peut alors porter préjudice aux autres formes de l'évaluation - qui la devancent dans la suite logique des processus d'apprentissage - et donc à l'apprentissage lui-même.
    b) - Il en est ainsi de l'évaluation dite " formative ", qui permet au maître "d'observer et de comprendre ce qui se passe dans les apprentissages" pour les accompagner et les optimiser. Celle-ci, qui va permettre d'agir sur la qualité des résultats, que l'évaluation institutionnelle pourra ensuite mettre en évidence, est parfois perturbée par la nécessité de répondre à dates fixes aux exigences mal comprises – ou mal traitées - de l'évaluation institutionnelle. Cette contradiction, très courante, qui témoigne d'une certaine irresponsabilité hiérarchique ou du moins d'une conception trop formaliste de celle-ci, est préoccupante.
    c) - Plus grave encore, s'il se peut, l'importance récemment révélée de l'évaluation formatrice est encore fréquemment ignorée.

    8 – La prise en compte de l'hypothèse de Maurice Reuchlin en vue d'une exploitation plus rationnelle de l'apprentissage vicariant se heurte à des difficultés certaines. Aux difficultés proprement techniques, qui sont réelles, s'ajoute le poids des habitudes et des traditions éducatives les plus respectables, que paraissent cependant pouvoir contrecarrer le sens des réalités et le volontarisme des enseignants, non moins respectables eux aussi.

    9 – L'apprentissage vicariant est un apprentissage "socio-constructif par observation" (F.Wynnikamen), dans lequel l'élève procède de façon différée, hors de la présence du " modèle " dont il a cherché à identifier les éléments pertinents (Maurice Reuchlin). Le processus se caractérise par une succession rapide de changements ou d'ajustements de représentations, comme dans "le tâtonnement expérimental" dont il constitue une version peut-être moins hasardeuse que l'original, dans la mesure où le temps gagné par étayage des apprentissages notionnels pourrait dès lors être réinvesti au bénéfice des activités de créativité et à celui des activités sportives. "

    De 1990 à 1996, dans la circonscription de Nouméa 3, Michel Monot prend donc comme projet de " Réhabiliter l'apprentissage vicariant (hypothéqué par sa parenté avec le " copiage ") et l'adapter à des fins scolaires. "

    Suivant les pistes ouvertes par Reuchlin et Bandura, il élargit la définition d'apprentissage vicariant à l'être humain de la manière suivante : "Mode d'apprentissage " primitif " que l'on peut observer et étudier chez les animaux mais qui persiste également chez l'être humain. C'est un apprentissage par imitation mais un apprentissage authentique, qui ne peut être confondu avec la singerie, la simple simulation ou la contrefaçon, et consiste bien en l'appropriation véritable d'un savoir, mais plus souvent d'un savoir-faire ou d'un savoir être. "

    Daniel Gaonac'h : l'apprentissage social

    En 1995, dans son "Manuel de psychologie pour l'enseignement ? Daniel Gaonac'h, professeur à l'Université de Poitiers, souligne la position particulière de l'apprentissage social qui, en cherchant tout particulièrement à rendre compte du rôle des influences sociales dans les apprentissages, se situe, comme la Pédagogie de Maîtrise, à l'articulation du behaviorisme et du constructivisme. Daniel Gaonac'h écrit : " Le rôle de l'imitation dans le développement génétique est bien connu. Les enfants apprennent beaucoup en observant leur entourage, en tentant d'imiter ce qu'ils observent. Les capacités d'imitation apparaissent d'ailleurs très tôt. Bandura étend le raisonnement à toutes les situations d'apprentissage, et considère que celui-ci peut d'abord se fonder sur l'observation. Profiter de l'expérience des autres est une façon extrêmement courante d'apprendre. Nous pouvons tenir compte des réussites et des échecs de nos congénères pour ajuster nos comportements. Le renforcement n'est pas alors directement applicable au comportement de l'apprenant, mais à des comportements que celui-ci peut observer. C'est ce que les théoriciens de l'apprentissage social appellent apprentissage vicariant.

    C'est une forme d'apprentissage fortement présente dans beaucoup de situations de la vie quotidienne. Les modèles peuvent être des congénères : adultes, pairs... Ils peuvent aussi correspondre à des symboles dont la valeur sociale est importante : des mots, des idées qui sont valorisés socialement, des images, des événements. Certains films peuvent ainsi servir de référence à toute une génération, et conduire à renforcer des comportements, des attitudes...

    Le professeur dans sa classe peut manipuler ce qui va servir de modèle, dans un sens très large, à la maîtrise de nouveaux comportements et à la stabilisation des comportements acquis. L'enseignement ne porte pas que sur les phases d'exercice explicite, mais aussi sur tout ce qui, dans la classe, les entoure. Tous les aspects de la situation pédagogique servent à l'enfant de période d'observation : les premières minutes d'une classe, tout ce que le professeur utilise pour amener une question, les éléments qu'il va mettre en exergue, souligner... C'est sur cette base que l'élève va dégager les aspects pertinents de la situation, c'est-à-dire, comme dans toute situation d'apprentissage, sélectionner les éléments sur lesquels va ensuite porter l'apprentissage proprement dit. " Après cette approche théorique nécessaire, destinée à montrer que la Pédagogie de Maîtrise à Effet Vicariant n'est pas l'émanation hasardeuse d'une pensée opportuniste, et que le nom qui lui a été donné explicite ses origines, nous sommes maintenant en mesure d'aborder le chapitre de ses modalités de mise en œuvre.

    à suivre

    Jacques Bert, 2005

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