• La Pmev : une autre façon d'envisager les relations maître-élèves

    Intervention de Bernard Béchon au 31è congrès de l'AFPEN, 2009

    La PMEV : une autre façon d’envisager la relation maître-élèves.

     

    La pédagogie de maîtrise à effet vicariant est, avant tout, une organisation différente de la classe. Imaginée il y a une vingtaine d'année en Nouvelle Calédonie, par un IEN, Michel Monot, afin de pallier à la désertification des classes, elle est facile à mettre en place, peut s'adapter à toutes sortes de classes, tout type d'enseignant. Elle a de plus le mérite de redonner aux élèves le goût du travail, de l'effort, aux enseignants la joie d'enseigner, le plaisir d'être. En diminuant les conflits et les tensions, elle augmente les relations inter et intrapersonnelles et permet ainsi de mettre à jour tous les pièges du manque d'estime de soi ou de surestime de soi. En place depuis dix ans dans ma classe, elle a permis au pédagogue Freinet que j'étais de mieux comprendre les relations complexes qui prédisposent à l'efficacité des apprentissages et au respect des individualités." 


     

     I- ORIGINES DE LA PMEV

     

     La pédagogie de maîtrise (Mastery Learning) est née aux U.S.A. dans les années 60. Elle a été connue en France grâce à la traduction des travaux de BLOOM .On l’appellera en France pédagogie par objectifs car on ne s ‘intéressera qu’aux contenus en éludant la complexité des apprentissages.  

     

    La PMEV s’intéresse au professionnalisme de l’enseignant.

    Pour Bloom, comme pour Freinet, on devait rechercher unchangement d’attitude afin de développer le talent de l’apprenant. Deux obligations,

    ·       leur donner le temps d’apprendre,

    ·       apporter l’aide nécessaire,

    toutes deux variables suivant les individus.

     

    On essaie de réfléchir à une pratique ergonomique des rôles du maître et des élèves. L’un par le plaisir retrouvé d’enseigner, les autres par lebonheur d’apprendre.

    Après 10 ans de pratique, je trouve que c’est une solution intéressante aux problème des pré-requis, le respect des différences de rythmes pouvant permettre aux plus lents de prendre des repères sur les plus rapides et, de ce fait même, d'avancer plus vite que ne laisserait prévoir le strict "respect" des rythmes individuels.

     

     

    II- EN PRATIQUE DANS MA CLASSE

    Chaque matin, après une mise en bouche d’une quinzaine de minutes, entretien, chant, débat, analyse d’image, le gros de la matinée se découpe en 3 parties,  45 min d’écriture, 75 min de travail sur fiches, 30 min de bilan.

         

    ·       L’écriture.

     

    C’est la hache qui brise la glace.

     

    Permettre aux enfants d’écrire c’est leur ouvrir une dimension supplémentaire, un peu comme la musique, un autre univers, libérateur.

     

    Chaque jour, ils produisent des textes : poésies, histoires inventées, compte-rendu d’évènement, roman… ils écrivent pour le journal ou simplement pour dire quelque chose, ou encore pour rien, pour le plaisir.

     

    Laisser écrire produit illico un changement de comportement face au savoir, il faut bien sûr être accueillant au début mais très vite on constate le changement ; ils s’épanouissent et prennent un réel plaisir.

     

    Plaisir kinesthésique ou sensualité de la trace sur le papier, certains tressent des pages entières, seul ou avec un autre, à chaque séance

      

    ·       Le travail sur fiches.

    Il y a 36 fiches dans mes classeurs, 18 mathématiques ( 3 calcul mental,  3 numération,3 calcul numérique, 3 géométrie, 3 mesure, 3 problème ) et autant en français ( calligraphie, orthographe, vocabulaire, grammaire, conjugaison, lecture ). Je les ai toutes construites, une situation problème énoncée le plus simplement possible, cela permet, à mon avis, de mieux repérer les lacunes et les méthodes défaillantes.

     

    Un palier, c’est 12 séances ( ce qui place le rendement à 3 fiches par séances). Tous ont l’obligation de terminer le palier. Il est interdit de communiquer, c’est un travail individuel et silencieux.

     

    Les élèves vont prélever la fiche u’ils désirent faire, la présente sur leur cahier et grâce à un petit système (tétraèdre de couleur) me signale qu’ils ont terminé. Je viens corriger, sans un mot, je valide ou non le travail. Faux, l’élève essaie de trouver son erreur puis refait corriger. Juste, il la note sur son récapitulatif et passe à une autre. Encore faux, la fiche sera analysée et démontée au bilan, ainsi, l’élève pourra enfin la réaliser correctement la troisième fois, lors d’une autre séance. Il n’a pas la solution maintenant, il est obligé d’attendre. Cette frustration de l’attente a 2 avantages : le premier est qu’il va être motivé pour obtenir cette connaissance qui lui manque, le second lui permet de prendre conscience de ses lacunes.

     

    Connaissant bien les fiches, je sais par avance ce qui peut bloquer l’élève faible, je sais comment l’aider, lui donne des indices, des outils, des procédures pour certains. On peut dire que certains élèves font leur 10 paliers de l’année sans avoir affaire à moi, le bilan collectif leur suffit. Par contre pour d’autres, le parrainage est constant. Ainsi, tous vont faire leur palier mais une partie de la classe le fera sans aucune aide, une deuxième partie avec mon aide, et 3 ou 4 élèves seront complètement portés par le maître.

     

    Au fil du temps, un tutorat implicite s’installe entre eux car, bien qu’il soit interdit de communiquer, l’utilisation d’outils et de techniques procédurales se passent visuellement. Le premier but est d’arriver à se décoincer d’une situation critique, le fait de pouvoir observer, comparer, deviner avec le travail d’autrui permet aussi de construire des connaissances.  

     

    Mais le principal des nouvelles acquisitions se fait lors du bilan.

     

    ·       Le bilan.

    Je travaille par équipe de 8, 9 ou 10 élèves, pas plus. On se réunit devant le tableau où je projette les fiches qui en ont bloqué certains. On lit, on explique, on analyse tous les indices présents sur la fiche, on synthétise la ou les difficultés, on recense les outils disponibles (dictionnaires, carnet mémento, etc.) on écoute les différentes stratégies car certains ont trouvé des solutions, on met à nu la notion puis on modélise la ou les procédures valables, on s’entraîne rapidement sur des situations similaires pour généraliser, puis  on passe à une autre fiche. Le lendemain, je suis attentivement la réussite de l’élève en « formation » quitte à l’aider encore pour passer le cap.

       

    Il a vu faire, il sait que c’est possible, il va le faire.

     

    Le principe vicariant est fondé sur ce postulat : quiconque voit un pair réussir se dit que lui aussi  peut y parvenir à condition que la méthode et les connaissances nécessaires soient bien explicitées.

    On démonte les stratégies, on rappelle les savoirs ou le moyen de les retrouver, on détruit le mythe du « c’est magique ».

     

    Avec cet enseignement explicite, on montre à l’élève qu’il n’est pas coupable d’imbécillité mais ignorant de modes d’emplois.

     

     Comme on le voit, la PMEV n’est qu’une organisation autour des apprentissages .

    Elle ne saurait à elle-seule déclencher un changement d’attitude des élèves. C’est une condition nécessaire mais pas suffisante. Le fait d’acquérir les savoirs soi-même transforme radicalement l’individu. Il prend confiance en lui, résiste au découragement et découvre le plaisir d’apprendre. Mais c’est insuffisant si l’on veut réellement améliorer les relations maître – élève. Il faut faire de la classe un véritable lieu de parole et de droits pour tous.

     

    III- LA CLASSE, UN ESPACE DE PAROLE.

    C’est d’abord par ce biais que j’ai établi de nouveaux rapports maître-élèves. Depuis 1980, classe Freinet, classe coopérative, pédagogie institutionnelle, GFEN, tout était bon pour faire de nouveaux essais. La PMEV est venu compléter mais on peut très bien imaginer le processus inverse dans lequel la PMEV serait le déclencheur du changement. Les outils mis en place restent les mêmes. L’objectif aussi, faire naître un nouveau rapport au savoir, aux autres et à soi-même.

     

    ·       D’abord travailler sur des projets : le fait de proposer de grands projet à un groupe est je crois l’élément le plus constructif. En classe coopérative depuis 30ans, je connais la puissance du projet et son exigence de méthode. Une fois celui-ci lancé, très vite un besoin impérieux d’organisation va survenir. La classe, ruche bourdonnante, va devoir se mettre en ordre : planification, partage des tâches, apprentissages de compétences nouvelles, chaque action va prendre un sens, on va faire « pour » et non plus « parce que le maître l’a décidé ». Chaque individu veut apporter sa pierre mais ceci exige de l’ordre, de la discipline, de l’abnégation, de la tolérance. Ainsi, la classe va se former, se formater pour entrer dans une nouvelle dimension où chacun pourra exister, avec et par sa différence.

     

    ·       La classe devient alors communauté de projet, et comme toute communauté, il lui faut des règles et des lois. Alors on établit desrègles de vie, non pas listing des exigences du maître, mais outil de régulation d’un groupe en action. De chaque droit naît un devoir, les deux indissociables. On se surprend ensuite à observer des élèves remettre leur camarade en place en leur rappelant la règle acceptée.

     

    ·       Chaque jour, les mêmes tâches reviennent, on ne peut laisser sans arrêt les mêmes s’occuper de tout. Car on s’aperçoit aussi assez rapidement que dans une population donnée, une petite partie  est motrice et le reste attentiste. Alors si l’on veut former correctement nos apprentis, il faut un partage des tâches et des responsabilités. Un président élu, un secrétaire, un trésorier et un tas de  responsabilités que chacun doit assumer à tour de rôle.

     

    ·       Une classe plus vivante, en action constante, où chaque individu participe est une classe où les conflits sont quotidiens. Sans doute beaucoup plus que dans une classe où l’individu possède moins d’espace.

     

    Le conflit, aussi gênant soit-il, est un élément indispensable à l’évolution. Il permet la régulation des relations à l’intérieur d’une organisation à condition qu’il soit analysé et explicité. Il faut donc apprendre à le gérer, le prévoir, l’utiliser. Quelques outils :

    o  Un cahier de plaintes sur lequel les élèves notent les problèmes ; il sera lu lors de la réunion de coopérative hebdomadaire, on ne discutera que les plus graves s’il y en a.

     

    o  Un cahier de propositions, lui aussi lu en réunion de coopérative, déclenchera des modifications si le maître et les élèves les ont votées .

     

    o  La chaise de l’injustice. M est une élève douce et agréable, sans problème de comportement particulier et qui va petit à petit s’étioler au fil des jours sans que je comprenne pourquoi. Il y a un malaise, ses parents sont inquiets, elle pleure, ne veut plus venir à l’école, se renferme sur elle-même, ne communique plus. Je sais qu’il y a des clans et des tensions entre certaines filles mais jamais suffisamment déclarés pour en cerner les causes. Impuissant je suis. Alors, un matin je place une chaise devant la classe et je précise, « voici la chaise de l’injustice, celui qui s’y asseoit doit être écouté, jamais interrompu, on n’a pas le droit de bouger ni de parler. »  J’appelle alors M et lui demande de s’y asseoir. J’explique rapidement le pourquoi et questionne M sur son changement d’attitude. M se tait, le temps s’écoule, silence, immobilité,  1min, 2, elle se met à pleurer doucement en regardant la classe, j’attends, silence, elle pleure toujours doucement puis enfin elle parle et explique comment les amies qu’elle aimait s’étaient éloignées d’elle, elle raconte le mal que cela lui a fait, ne dévoile aucun nom , ne parle que de sa souffrance. Les visages sont graves, les larmes emplissent les regards, le silence est violent…C’est fini. Depuis ce jour, M a retrouvé le sourire, le simple fait de poser les mots de sa souffrance devant le groupe a démonté toutes les arcanes compliquées des conspirations et des agressions invisibles.  La chaise de l’injustice a servi 2 ou 3 fois depuis, je la sors à la demande.

     

    o  La boîte aux messages permet de s’envoyer du courrier, j’en reçois quelquefois, c’est personnel ou pas, toujours pertinent.

     

    o  La réunion de coopérative pour parler projets, trésorerie, régler les conflits, programmer les activités.

     

    o  Le BCBT ou diplôme de Bon Comportement Bon Travail. A chaque fin de palier, on vérifie les acquisitions, on fait la somme du travail et le bilan du comportement. Le tout va donner ou non le sésame à une ceinture noire pour le palier suivant.

        

    o   Les ceintures de comportement : ceinture noire ou rouge passe et manque, aucun privilège pour le rouge qui devra suivre à la lettre les consignes du maître, c’est le maître qui donne les fiches, fixe le rythme, empêche les déplacements, le noir lui gagne le droit de gérer son travail seul, de sortir comme il le désire, d’écrire à plusieurs, d’aller aux ordinateurs chaque fois qu’il le peut, il est libre Max jusqu’à ce qu’il oublie ses devoirs auquel cas …le rouge revient.

     

    IV-  EGOALTRUISME

    Classe coopérative : un écrin donc pour la PMEV. Ce changement de méthode engendre naturellement un changement de comportement du maître, grand timonier encore et toujours. En perdant sa maîtrise dogmatique, sa capacité à se mettre en scène, le plaisir jubilatoire d’une belle leçon, on cultive un nouvel esprit empreint de réserve magistrale, de doute méthodique. On recherche un autre équilibre fait d’altérité, de réseau, de connivences.

    ·       Avec les parents : on ne peut pas se contenter d’une liste. De ma classe unique en 1980, j’ai gardé l’habitude de bien connaître la famille de mes élèves et de garder avec eux des rapports privilégiés. Nous sommes en contact permanent, ils peuvent à tout moment me poser une question ou me communiquer leur crainte ou incompréhension. L’enfant le sait. Reconnu par la famille, je le suis aussi par l’enfant.

    ·       Avec les collègues : j’ai travaillé seul en classe unique prés de 20ans, pas de collègues pour m’aider, pas de collègue pour me gêner, j’ai fait ce que j’ai voulu et j’avoue que c’est bien pratique  et nécessaire pour sortir des terrains battus. Mais je conçois que souvent les relations dans la classe sont imprégnés de l’ambiance qui règne dans l’école. Pour avoir fait 5 ans de remplacement en ville, j’ai constaté ces différences et je sais qu’aujourd’hui encore, cela perdure. Aujourd’hui, l’équipe à laquelle j’appartiens partage aussi cette vision, même si les pratiques pédagogiques restent différentes, l’objectif est commun. Nécessité donc d’un travail d’équipe.

    • Avec les élèves, en leur présentant une vision de l’école positive. En leur démontrant que l’échec est une étape importante de l’apprentissage et qu’il ne faut pas s’en effrayer. En leur expliquant que les individus sont tous dotés d’intelligence mais que cette intelligence revêt des formes multiples ; si celui-ci a une bonne intelligence langagière, celui-là possède une excellente intelligence spatiale ou kinesthésique et que ce dernier soi-disant incapable de faire quoi que ce soit de correct sur son cahier possède une grande expertise de l’intelligence interpersonnelle dans la gestion des conflits. Chacun trouve une place gratifiante dans un groupe correctement dirigé. Tous existe pour eux-mêmes mais à travers les autres, une sorte d’égoaltruisme.

     

    CONCLUSION : ETRE DISPONIBLE ET BIENVEILLANT.

     

    Améliorer la relation maître-élève exige donc deux évolutions, l’une dans sa classe et son environnement,  la seconde dans l’esprit du maître car on ne change pas réellement sa pratique sans modifier sa vision du métier.

      

    Notre métier est d’enseigner, instruire ou éduquer, débat non clos, mais il nous demande avant tout de faire chaque jour le même travail sur soi afin d’être complètement disponible devant les élèves. On se doit de faire le vide dans son esprit et de se préparer à cette rencontre car c’est un exercice physique de chaque instant qui n’autorise aucune faille. Pas de bonne classe si vous êtes préoccupé par des soucis familiaux, si vous n’êtes pas en bonne forme physique, ou si vous n’avez pas vérifié tous vos outils. Je suis en classe chaque matin depuis bientôt 30 ans vers 7h15 pour en ressortir vers 18h. Première tâche donc, une bonne forme et une bonne préparation.

     

    Ensuite, bien comprendre ce qui nous attend ; la somme de conflits, d’incivilités, de rappels à l’ordre, sont très déstabilisateurs. Il faut savoir répondre sans perdre son sang-froid, replacer les choses, les énoncer avec clarté et amabilité. Même lorsqu’il faut le faire plusieurs fois de suite, éviter de sermonner le fautif, c’est souvent le même, et souvent, il ne le fait pas exprès. Deuxième tâche donc, maîtrise de soi et bienveillance. (cf. Alain – Propos sur le bonheur )

     

    Le dernier point à travailler est d’avoir la foi, croire en ce qu’on fait, être persuadé que c’est la bonne façon et que les élèves vont tous en profiter ! La belle affaire me direz-vous ! Une chose est sûre, aucun message ne colle à son public s’il n’est pas porté par un minimum de conviction. En classe, ce n’est ni le lieu ni l’heure de se remettre en cause, on fonce, on emporte tout ce petit monde, et vogue la galère !

     

     Bernard Béchon, 2009

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  • Commentaires

    1
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