• L’un des objectifs essentiels de l’Ecole de la République, qui s’érige aujourd’hui en école de la démocratie, est de former des citoyens autonomes et responsables, aptes à assumer eux-mêmes, individuellement ou collectivement, leur destin. L'objectif est ambitieux, mais il nous concerne tous et nous devons nous y consacrer.


    Si l’on part du constat que l’autonomie n’est pas innée, qu’on ne peut pas davantage la décréter, qu’elle se construit tout au long de l’enfance et de l’adolescence, et si l’on ajoute à cela que certains élèves, parfaitement autonomes dans la vie, ne le sont plus du tout en milieu scolaire, il faut se faire une raison et lever toute ambiguïté : l'autonomie de l'enfant ou de l'adolescent en milieu scolaire, écolier ou collégien, fait clairement partie de la tâche qui incombe aux enseignants. 

    Lever toute ambiguïté car le terme d'autonomie peut être diversement interprété…. Selon le sociologue Philippe Perenoud , l’autonomie peut consister à "se concevoir comme un être libre et se rebeller contre tout ou partie des normes et des directives dont on est l'objet". A ce titre, nombre de nos élèves sont précocement "autonomes", mais pas au sens souhaité par l'Ecole ou conforme à l'idée que nous nous en faisons. Il est vrai, cependant, que l’école n'a pas su éviter cette forme indésirable d’autonomie et il est même possible qu'elle l'ait parfois favorisé. 

    L'autonomie que nous visons, peut-être utopique pour certains, est la capacité de s’approprier soi-même de nouvelles connaissances, d’abord à l’école puis pendant toute sa vie. Le chemin pour y parvenir est long, semé d'embûches voire de dérives pernicieuses, d'autant que le point de départ n'est pas le même pour tous sur le chemin de la vie. L'enfant commence dès l'école maternelle à feuilleter ses premiers albums, puis il apprend plus ou moins facilement à lire et à écrire avant d'entrer dans une zone de perturbations dont il ne se sort pas toujours indemne. Que faire pour limiter les risques d'exclusion, pour aider nos élèves à conquérir cette autonomie scolaire qui prélude à l'autonomie citoyenne que chacun revendique ? 

    Il parait d'abord nécessaire de sortir des lieux communs, de compléter les analyses classiques des problèmes de l'école par quelques observations simples dont la prise en compte peut s'avérer d'un grand secours. 

    1 Eléments d'analyse 


    1.1 du côté des élèves… 

    1.1.1 Mauvais élèves… ? 

    On sait qu’un certain nombre d’élèves en échec rejettent une pédagogie frontale qui, en voulant imposer à tous le même rythme et le même mode d’apprentissage, ne leur convient pas. Pour ces élèves, il faut opposer, à la pédagogie frontale traditionnelle, une pédagogie individualisée qui donne à chacun le temps qu’il lui faut pour apprendre et lui laisse le choix du mode d’apprentissage. 

    Mais on sait aussi qu'il ne s'agit pas là d'une loi absolue. Au même moment, dans la même classe, on peut trouver d'autres enfants en difficulté qui, eux, redoutent, au contraire, d'être confrontés à des situations de travail autonome car elles nécessitent des ressources personnelles qu'ils sont loin d'avoir acquises. 

    Cette situation complexe, propre à alimenter les polémiques dans le monde enseignant et lourde, en tout cas, de contradictions qui peuvent paraître inconciliables, appelle des traitements différenciés qui peuvent encore ajouter à la l’hétérogénéité des niveaux scolaires des élèves, ainsi qu’au malaise et aux difficultés qui en résultent. 

    1.1.2 … et bons élèves 

    Les "bons élèves" ne sont pas tant, comme on pourrait le croire en première approche, des élèves "sages comme des images" qui répondent juste à tous les coups…. A observer longuement leur comportement dans des classes très diverses, on découvre surtout des élèves qui ne répondent pas au hasard. Ils savent ou ils ne savent pas, mais « ils savent qu’ils savent ou qu’ils ne savent pas », d'où un comprtement assez caractéristique : ils répondent quand ils pensent avoir la réponse mais s'abstiennent quand ils ont des doutes. Et si ces élèves sont en général "sages comme des images", c'est qu'ils se sentent bien en classe et ne sont pas stressés… 

    Ce comportement spécifique, signe de compétence et d'autonomie, doit souvent beaucoup à l'éducation familiale, mais l'école peut aussi et doit y prendre sa part, ce qui pose de manière aiguë le problème de l'efficacité des apprentissages et des méthodes pédagogiques. En termes d'efficacité des apprentissages, toutes les méthodes ne se valent pas, et c'est encore plus vrai pour ce qui concerne l'autonomie de l'apprenant, qu'il soit écolier ou collégien. 

    1.2 Du côté du "système" 

    Il y aurait beaucoup à dire mais nous serons très brefs. 

    1.2.1 Programmes 

    En matière de programmes, l'école se cherche et n’a pas encore de certitudes : le temps consacré à la langue orale vient cette année de disparaître de la rubrique "Français" pour être réparti entre diverses disciplines, ce qui peut être une mesure très efficace bien qu'encore déconcertante pour beaucoup. 

    1.2.2 Horaires 

    En matière d'horaires, rien n'est simple. Des enquêtes très rigoureuses ont montré que dans des classes réputées bonnes et censées appliquer les mêmes horaires officiels, le temps consacré aux diverses disciplines peut en réalité varier du simple au double. Mais ces enquêtes, dans leur précision indiscutable, occultent encore une large part du problème. 

    1.2.3 Temps officiel, temps appliqué, temps investi 

    Les différences entre les horaires officiels et les horaires appliqués ne sont rien au regard des variations constatées dans le temps effectivement investi par l'élève dans sa tâche, variations qui posent là encore le problème des méthodes pédagogiques. Le problème est complexe, difficile à aborder car on pourrait croire qu’il met en cause le principe sacré de la liberté pédagogique, liberté indispensable dans une profession qui exige un investissement personnel de qualité. Mais il n'est pas pour autant insoluble, et les enseignants qui ont adopté les démarches de la PMEV pour tenter de résoudre ce délicat problème de "temps investi" admettent que leur liberté n'est nullement remise en cause. Une chose est sûre qu'il faut cependant souligner : le degré de qualification d'un élève, son autonomie "professionnelle", dépendent de l'efficacité de ses études et celle-ci dépend des pratiques pédagogiques utilisées. Ce problème d’efficacité devient aujourd’hui une préoccupation centrale et les maîtres en ont aujourd'hui mieux conscience. 

    1.2.4 Le difficile contrôle des horaires 

    Le contrôle des horaires appliqués et du respect des programmes, tâche traditionnelle mais non unique des corps d'inspection, a parfois été mis en cause, au nom notamment de la grande diversité des situations ou des différences de rythmes d'apprentissage. Les maîtres pratiquant la PMEV, non moins soucieux que d'autres de l’importance des enjeux et de leur propre efficacité professionnelle, sont confrontés, par leur pratique, à une difficulté plus grande de contrôle des horaires appliqués. Mais ils tiennent, sans malice, le raisonnement suivant : si l’horaire préconisé dans une discipline autorise un volume d'apprentissage déterminé, et que ce volume d'apprentissage a été atteint, c'est que le dit horaire a été appliqué ou, du moins, l'intention du législateur respectée. 

    1.2.5 Vers une solution ? 

    Problèmes nombreux, problèmes complexes, enjeux majeurs. C’est à tout cela que la Pédagogie de Maîtrise à Effet Vicariant tente de répondre, en intégrant et en révisant, autant que faire se peut, toutes les données du problème. Elle pourrait donc jouer un rôle décisif dans la gestion de l’hétérogénéité croissante et polymorphe de la population scolaire. Non parce qu’elle innove – elle ne cherche qu'à mieux comprendre – mais parce qu’elle réhabilite un processus d’apprentissage majeur que l’école n'a, pour ainsi dire, pas su "maîtriser", processus natif améliorant les apprentissages et, qui plus est, très favorable à la conquête de l'autonomie que nous avons définie. 

    En quoi consiste cette pédagogie ? En quoi peut-elle améliorer les résultats et favoriser l'autonomie de l'élève ? C'est ce que nous allons maintenant aborder. 



    2 La PMEV 


    La PMEV n'a pas cherché à innover, même s’il est vrai qu'elle peut surprendre. Elle n'abandonne la conduite frontale de la classe que pour mieux retrouver, dans la durée, une progression relativement frontale de la classe. Elle ne met les élèves en autonomie que pour mieux apporter à ceux qui en seraient déstabilisés des éléments propres à les sécuriser et à étayer leur progression. 

    La PMEV n'est pourtant à l'origine qu'une simple mise en application des IO de 89, relatives à la réforme des cycles, qui stipulaient : 

    « Les formules permettant aux élèves de travailler selon leurs rythmes et leurs possibilités, à la réalisation d’une tâche dont ils connaissent les finalités, et permettant aux maîtres d’observer et de comprendre ce qui se passe dans les activités d’apprentissage peuvent faire l’objet d’expérimentations et d’évaluations. » 

    En langage de bon sens : 1) Ne pas exiger brutalement des élèves plus qu'ils ne peuvent supporter ; 2) Ne pas accepter qu'un enseignant de qualité soit bridé dans la mise en œuvre de ses compétences. Car ces deux graves travers de notre système scolaire, étroitement solidaires et bien réels, constituent de sérieux freins à son fonctionnement normal et aux objectifs qu'il poursuit. 

    C'est de cette formule très officielle, qui tenait moins de la recette miracle que d'un lourd "cahier des charges", qu'est donc née la PMEV. Il s'agissait de remplir le contrat, de mettre au point une organisation pédagogique conforme aux prescriptions et de rendre compte, ce qui fut fait. Mais il fallait aussi faire circuler plus largement l'information, signaler les emprunts originaux et expliquer les particularités de la démarche mise en œuvre, résumer le tout en donnant un nom à cette organisation qui avait besoin d'être située dans la constellation des approches pédagogiques. Un nom qui ne sacrifie rien aux impératifs du marketing mais tout à l'exigence de sens. Ce nom est ce qu'il est - il n'est pas très heureux - parce qu'il n'y en avait pas d'autre pour définir la méthode, et qu'il en résume assez bien l’objectif et les moyens. 

    2.1 Pourquoi Pédagogie « de Maîtrise » ? 

    Parce qu’il s’agissait, au moment où cette méthode à été mise en place aux Etats-Unis, de travailler à égaler dans les classes les résultats atteints par le préceptorat, en essayant de donner à chacun, pour respecter la formule de Bloom, « tout le temps dont il a besoin pour apprendre ». Mais aussi parce que la notion de "maîtrise", injustement occultée par la suite et dépréciée dans la formule dite de "pédagogie par objectifs", permet de se recentrer sur l'idée forte d'un double professionnalisme : "maîtrise" du métier d'élève et "maîtrise" du métier d'enseignant, métiers qui impliquent tous deux un haut degré de compétence et, dans son sens le plus noble, d'autonomie. 

    2.2 Pourquoi « à effet vicariant » ? 

    C'est le MOYEN retenu en vue d'atteindre l'objectif fixé par Bloom, pour ne pas reproduire mécaniquement le modèle initial et ses imperfections mais tenir compte des critiques qui lui avaient été adressées par le courant "constructiviste" . Il était nécessaire d'afficher notre spécificité - celle d’un apprentissage par analyse et repérage d’indices - que nous sommes arrivés à définir en explorant la piste ouverte par Albert Bandura et dont Maurice Reuchlin a souligné l'intérêt potentiel, 

    2.3 Quelques précisions 

    En PMEV, on apprend beaucoup en regardant les autres apprendre, en quelque sorte "par procuration", a même pu dire un collègue avec un rien d'ironie qui ne doit pas tromper. C'est bien ce principe qui nous permet de rendre effectivement les élèves "apprenants" ; de redonner confiance aux élèves en échec pour les conduire vers la maîtrise de leur "métier" donc vers l'autonomie ; de résoudre presque à la source bien des problèmes de discipline ; et même de laisser penser à certains maîtres désabusés qu'ils redécouvrent leur métier…. 

    L’apprentissage vicariant pourrait donc correspondre, dans le contexte scolaire, à ce que l’enfant peut apprendre par ses propres moyens, de manière autonome, en marge du discours du maître proprement dit mais à l’initiative et sous le contrôle de celui-ci : en regardant faire et en écoutant ceux qui savent faire ou qui sont en train d’apprendre, ou encore, par extension, en analysant leur production. Et surtout, en parlant beaucoup, beaucoup, de tout cela. 

    La PMEV, au fond, n'apporte pas de véritable nouveauté. Elle s'apparenterait même à une restauration qui a le mérite d'être claire et qui ne constitue pas une régression ou un retour au conditionnement de l’enfant. Elle prend appui sur des processus éprouvés par le temps, plus ou moins dévalorisés par l'école car – c'est un comble ! - mal analysés, Elle en redéfinit la problématique et tente d’en rationaliser la mise en œuvre, complétant en outre utilement l'éclairage actuel de la didactique et des sciences cognitives dont l'insistance sur les "changements de représentations" appelle à notre sens une pratique nuancée et donc une remarque. 

    Observer et comprendre ce qui se passe dans les apprentissages, comme le prescrivaient les Instructions Officielles, c'est parfois découvrir qu'un enfant s'est sorti d'affaire tout seul, comme un être déjà autonome. C'est admettre qu'il était le mieux placé et déjà suffisamment aguerri pour comprendre sa situation et se repositionner de lui-même. Ces prises de conscience spontanées sont assez fréquentes en PMEV, du fait d'un mode de fonctionnement particulier qui privilégie l'étayage plutôt que la guidance, et ces mots n'ont évidemment pas le même sens, l’un tendant vers la liberté et l'autre, dans les conceptions généreuses mais excessives que l'on en rencontre parfois, vers un dangereux assistanat. 

    Ces prises de conscience n'en relèvent pas moins elles-mêmes, pour une large part, des "changements de représentation", auxquels elles ne s’opposent pas. 



    3 Vers l'autonomie 


    Les diverses options pédagogiques de la PMEV, adoptées pour faciliter la maîtrise des apprentissages essentiels du "métier" d'élève en tant que préalables à l'autonomie future de l'adulte, ont effectivement permis de mettre en œuvre des processus dont les effets à plus long terme ont pu paraître inattendus. 

    Des raisons techniques, inhérentes à cette option "vicariance", imposaient de laisser l'enfant choisir sa tâche. Cette nécessité a permis - dans le cadre d'un fonctionnement délibérément systémique offrant dans l’action des possibilités de manœuvre relativement élaborées - de préciser et d'activer ce qui est sans doute un des meilleurs atouts de la PMEV. 

    3.1 Le plaisir du choix 

    Pouvoir choisir est, pour le plus grand nombre, synonyme de plaisir. Le plaisir du choix favorise donc l'acceptation de la contrainte scolaire et l'engagement de l’élève dans sa tâche, ce qui est déjà beaucoup, mais le plus important est ailleurs, dans une perspective ouverte en matière de "profil scolaire" qui autorise à parler de "construction d'un profil de bon élève". 

    3.2 La nécessité du choix 

    Sans prétendre à l'exclusivité, la PMEV propose à ce sujet une approche originale fondée sur la nécessité du choix. Pour choisir, l'élève doit d’abord se représenter la tâche à effectuer, l'analyser, faire le tri entre ce qu’il peut et ne peut pas encore faire, travail exigeant mais hautement formateur. C’est dans la mesure où le dispositif particulier de la PMEV apporte chaque jour son petit lot d’informations complémentaires, que la nécessité de choisir se démarque du choix aléatoire et devient peu à peu un choix fondé sur des critères. Elle prend appui sur un sens qui émerge progressivement et parvient peu à peu à s’affirmer comme une véritable autonomie. La liberté de choix n’est plus alors un slogan ou une option arbitraire aléatoire : elle devient sous nos yeux une nécessité puis une réalité fonctionnelle. 

    3.3 Les embarras du choix 

    Choisir n'est pas toujours un plaisir. Il est vrai que la nécessité de choisir est exigeante et qu'elle peut même se révéler fortement déstabilisatrice, comme nous l'évoquions plus haut à propos d'élèves parfois si démunis qu'ils ont peur de l'autonomie. Ce comportement est classique et nullement condamnable : les personnes cherchent à éviter les situations et les activités qu'elles perçoivent comme menaçantes. 

    Pour être mise à la portée de l'élève non initié et devenir un atout entre ses mains, la nécessité de choisir doit évidemment être étayée, aussi bien au plan technique qu'au plan psychologique. Et tout le "miracle" de la PMEV est là, le "double miracle" même pourrait-on dire, puisqu’il répond à cette double exigence. 

    Dans la logique de ses options, la PMEV permet d'abord de délivrer chaque jour de nouvelles bribes d'informations venant enrichir les analyses et faciliter l'évolution des représentations des élèves, consolidant et affinant par-là, tant ce travail est inlassablement repris et perfectionné, leur aptitude à choisir en connaissance de cause et à s'engager dans la tâche. 

    Mais s'engager dans la tâche ne va pas de soi pour tous, en particulier pour les élèves qui, ayant parfois déjà intégré une image très négative d'eux-mêmes, relèvent en fait de la rééducation. Sans nier la nécessité d'un tel recours et sans vouloir imposer au maître une charge qui ne relèverait ni de ses compétences ni de ses attributions, la PMEV apporte les ressources de "l'expérience vicariante". 

    3.4 L'expérience vicariante 

    Il s'agit là d'un aspect important de la théorie de l'apprentissage vicariant. L'opportunité de pouvoir observer un individu similaire à soi-même en train d’exécuter une activité donnée devient une source d'information importante influençant la perception d'auto-efficacité, et son impact sur le profil d'un enfant désabusé, en échec marqué, peut se révéler déterminant. Ce processus, la PMEV le favorise, par son organisation propre, de façon en quelque sorte automatique : tel élève qui aurait déjà fortement intégré une image de soi négative pourra soudain découvrir, à la faveur de la prestation d'un camarade auquel il peut se comparer, qu'il aurait pu lui-même se montrer capable de la même prestation. Prise de conscience là encore, changement de la représentation de soi, qu'il reste cependant à consolider. 



    4 La PMEV : une organisation particulière de la classe et du temps 


    L'organisation du travail en PMEV a été largement décrite par ailleurs. Nous nous en tiendrons à quelques rappels et aux grands axes de cette organisation, en insistant sur la fonction spécifique de chacun d’eux et sur leur cohérence avec le schéma d'ensemble. 

    4.1 L'année scolaire 

    L’année est divisée en périodes dont la durée varie avec l’âge des élèves mais qui sont toujours assez longues, l'objectif étant de donner aux élèves en difficulté le temps de venir à bout du programme qui leur a été imposé et qui est le même pour tous. 

    4.2 La journée 

    4.2.1 Travail individuel 

    La journée comprend un temps de travail individuel qui varie lui aussi en fonction de l’âge des élèves, sur la base de travaux décidés par le maître, mais que l'élève peut choisir de traiter à son heure, en fonction de l'évolution de ses représentations, évolution fortement accompagnée par le dispositif spécifique. C'est un temps ou l'élève peut tout aussi bien se confronter seul à une tâche nouvelle que réinvestir une tâche momentanément délaissée, grâce aux acquis d'un moment de bilan. 

    4.2.2 Le moment de Bilan 

    Cette évolution des représentations est en effet stimulée par un moment dit de bilan, qui est un temps fort quotidien de la PMEV et pourrait-on dire son moteur, dédié aux échanges sur le travail en cours, aux prises de repères qui vont permettre de comprendre. Les élèves viennent évoquer leur travail devant l’ensemble de la classe, les plus avancés fournissant ainsi aux autres des indices, des informations, qui vont leur permettre d’effectuer les tâches qui leur étaient inaccessibles au début de la période et qui très souvent le seraient restées dans une progression frontale. Les élèves s’entraînent ainsi chaque jour à analyser et à évaluer chacune des tâches qui leur sont proposées. Cet apprentissage de l’auto-évaluation est capital du point de vue de l'autonomie : il est à la fois une conséquence de cette organisation pédagogique et un moyen d'améliorer les capacités d’apprentissage, qui vont à leur tour renforcer l'organisation pédagogique, dans ce qu'on peut appeler un "cercle vertueux". L’enfant en tire une règle de fonctionnement et de gestion de ses apprentissages qui vont le conduire à l'autonomie que nous recherchons, autonomie d'ordre intellectuel évidemment : q en se consacrant d’abord aux tâches qu’il juge à sa portée et q en recueillant les indices qui vont lui permettre de se mettre à la hauteur des tâches qui ne lui étaient pas initialement accessibles, sans recourir à des interventions magistrales. 

    La PMEV permet ainsi de réguler les parcours des élèves, mais aussi de traiter ce que nous appelons par défaut "manque d'autonomie", manque qui résulte le plus souvent d'un déficit de savoirs et savoir-faire parfois minimes bien que déterminants. L’enseignant n’a que peu d’intervention de nature pédagogique mais il reste vigilant. Il effectue un rigoureux travail de pointage du travail de chaque élève pour s'assurer de la progression de la classe, tout en restant attentif au fonctionnement qualitatif de son dispositif. Un même travail peut être présenté plusieurs fois pendant la période, par exemple à la demande de ceux qui souhaitent des éclaircissements, mais aussi pour répondre à des besoins plus fondamentaux qui relèvent déjà, comme indiqué ci-dessus, d’une forme de "rééducation", sur laquelle il nous paraît utile d'insister un peu. Dans le vécu de la classe au quotidien, le sentiment peut-être ténu et fugitif d'auto-efficacité, subrepticement apparu lors d'un bref moment de bilan et auquel le maître s'efforce d'être attentif, doit être consolidé. La PMEV, par son organisation particulière du travail en périodes longues, va le permettre. Nous allons donner à l'enfant concerné, à l'occasion d'une séance ultérieure de bilan, la possibilité de rejouer lui-même le rôle dont il vient de se sentir capable, et au besoin l'accompagner un peu dans ses efforts de rétablissement. En PMEV, nous nous donnons du temps pour venir à bout des difficultés même lorsque celles-ci ne sont plus exclusivement d'ordre cognitif. Nous acceptons qu'un élève faible vienne présenter une fiche de travail bien qu'elle ait déjà été abordée plusieurs fois. Il ne s'agit pas tant alors de vérifier qu'il a lui aussi intégré la notion abordée, puisque nous avons d'autres moyens de le faire, et il ne s'agit pas non plus de lui offrir un "petit plaisir" en lui permettant de passer à son tour au bilan. Il s'agit déjà en fait pour lui d’une restauration et d’une rééducation, mais dans un schéma qui reste ancré dans le fonctionnement normal de la classe, avec des échanges respectueux mais stimulants, des réactions toujours nécessairement encourageantes, etc.. Il est donc important que le bilan permette de répondre à des questions qu’un élève se pose au sujet d’un exercice qu’il a abordé mais n’a pas su traiter, car c'est à partir de ces éclaircissements qu'il va souvent pouvoir se remettre à la tâche et progresser ou, plus crûment, éviter d'être "lâché". Mais il est tout aussi important que nous allions un peu plus loin, que nous sachions identifier et saisir les occasions qui se présentent d'aider un élève vraiment mal en point à se restaurer, d'autant qu'il peut s'agir d'élèves dont le potentiel intellectuel n'est nullement déficitaire, voire parfois – nous le savons aujourd'hui - supérieur à la moyenne. 

    4.2.3 Les leçons 

    Malgré l'importance que nous attachons au moment de bilan, les leçons ne sont pas absentes du dispositif, mais elles changent un peu de fonction. Elles ont lieu surtout quand le besoin d’une mise au point ou d'une synthèse se fait sentir pour tout ou partie de la classe. Elles sont alors "en prise" sur le fonctionnement en cours de la classe, et leur rendement en est amélioré d'autant. 



    5 Un dispositif porteur, des bénéfices substantiels 


    Nous avons déjà longuement évoqué ces points, mais pouvons les résumer avant de conclure. 

    5.1 Frontal / non frontal 

    L'abandon d’un enseignement frontal est impératif : pour qu’il y ait apprentissage vicariant, il faut que soient en présence, à un instant donné, face à un apprentissage donné, les enfants qui ont déjà maîtrisé cet apprentissage et des enfants qui, le découvrant, vont avoir besoin éventuellement de prendre quelques repères. Mais cet abandon n'est pas une fin en soi. Il est même censé permettre, à terme, un retour éventuel à une progression frontale et permettre déjà, à chaque nouvelle période, de retrouver toute la classe en ordre de marche sur une même ligne de départ 

    5.2 Visibilité, lisibilité, interrogeabilité 

    Il s'agit, autant que faire se peut, de rendre les apprentissages et les savoir-faire visibles, lisibles, interrogeables pour permettre aux élèves déficitaires de reconstituer progressivement leur patrimoine, tant dans le domaine notionnel que dans le domaine comportemental, avec toujours comme objectif l'autonomie. 

    5.3 Etayage, aptitude à l'analyse, discipline 

    Outre ses effets immédiats sur la compréhension et l'apprentissage, le dispositif d'étayage par effet vicariant constitue un exercice permanent d'auto-évaluation formative, un entraînement permanent à l'analyse de la tâche et au développement à plus long terme de cette aptitude caractéristique des élèves efficaces et des adultes autonomes. Mais l'impact du dispositif sur les aspects comportementaux de la vie de la classe est également sensible et souvent presque immédiat. Le fait que les résultats en matière de comportements des enfants soient souvent visibles dès les premiers jours, et qu'ils n'ont pas la durée éphémère des nouveautés, facilite la mise en place de cette organisation de la classe et encourage les maîtres : tous témoignent de la disparition de l’obligation habituelle de faire de la discipline, de l’engagement réel des élèves dans leurs apprentissages et de l’amélioration progressive de l’autonomie de chacun. Les résultats en terme de "niveau général" sont moins immédiats mais l'engagement dans les apprentissages est rapidement significatif, perceptibles souvent dès la première semaine. Tous ces changements sont rapides et fiables et font souvent déclarer aux maîtres qu’ils ont redécouvert leur métier. 



    6 En conclusion 

    Le recours à l’apprentissage vicariant permet l’apprentissage de l’auto-évaluation et celui de la gestion de ses propres apprentissages, qui sont des éléments clés du métier d'élève et d'une meilleure autonomie sur le plan scolaire. Ce fonctionnement permet à la fois de gagner du temps et d'investir pour le futur. En accordant à chacun le temps dont il a besoin pour apprendre - ce qui était l'objectif des pionniers de la pédagogie de maîtrise - il permet - grâce à l'éclairage spécifique du concept d'apprentissage vicariant - que le temps soit effectivement consacré par l’élève à sa tâche d’apprentissage et à la consolidation de son profil d'apprenant efficace, d'élève autonome. 

    Ce gain de temps et d’efficacité chez tous les élèves a un impact sur l’anxiété du maître, amenant chez les élèves une décrispation favorable aux apprentissages. Il permet en outre de redonner toute leur place aux disciplines dites secondaires, avec une chance accrue de pouvoir offrir aux élèves en difficulté des éléments favorables à leur épanouissement et à leur autonomisation.. 

    L’intérêt de cette méthode est indéniable pour tous les enfants, et particulièrement pour ceux qui se trouvent en difficulté parce qu’un enseignement frontal homogène ne leur convient pas. On trouve dans cette catégorie les enfants en retard scolaire mais aussi tous ceux qui ont un profil atypique, et ceux pour lesquels le manque d'autonomie, en empêchant les capacités intellectuelles d’être opérationnelles, pèse souvent d'un poids important.. 

    En leur donnant la possibilité d’une réelle coopération dans la confrontation, la discussion démocratique sur tous les sujets et en particulier sur les sujets du savoir, la PMEV fait que les enfants développent leur liberté d’action dans le travail, et leur propre maîtrise des apprentissages. Le fait que le maître soit discret pendant le bilan, qu’il soit présent mais réservé, leur apprend véritablement à prendre en charge eux-mêmes, au quotidien, la construction de leur savoir. 

    Pour conclure, nous pouvons affirmer que la PMEV n'est pas l'émanation superficielle d'une pensée opportuniste, parce qu'elle s'est définie, comme son nom l'indique, un objectif et des moyens pour l'atteindre. Si elle a pour vocation de former à terme des citoyens autonomes, elle peut reprendre à son compte le mot un peu provocateur de Bernard Shaw, « La liberté, c'est la responsabilité. »,. Ou bien encore ces vers de Goethe « Celui-là seul mérite la liberté et la vie Qui doit chaque jour les conquérir. »

    Jacques Bert, 2004

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    27 commentaires
  • La Pédagogie de Maîtrise à Effet Vicariant n'est à l'origine qu'une simple application des Instructions Officielles, fondée sur une option négligée de la "réforme des cycles". Ce n'est pas au sens strict une pédagogie, et à la limite rien d'autre qu'une organisation délibérément ergonomique du temps scolaire. Son nom résume sa généalogie : Pédagogie de maîtrise d'une part pour la matrice féconde du courant mastery learning ; à effet vicariant d'autre part en raison d'une paternité dérangeante, quasi illégitime sinon inconnue, peu de gens ayant entendu parler de l'apprentissage vicariant et encore moins de la plus subtile théorie des processus vicariants. Mais la PMEV est née en Nouvelle Calédonie, et ce n'est pas le simple effet du hasard : ce contexte spécifique a constitué un élément déterminant que nous pouvons essayer d'analyser.
    Politiquement, la Nouvelle Calédonie sortait en 90 d'une grave situation de crise enrayée de façon superbement volontariste par les Accords de Matignon. Crise parfois violente, mais moins simpliste ou plus complexe que certains médias ne l'avaient décrite, dont tous les stigmates n'étaient pas effacés mais dont la volonté de triompher restait encore intacte. 

    Dans ce contexte chargé, l'école souffrait de deux maux particuliers: un absentéisme chronique de certains élèves, plus ou moins marqué selon les écoles, qui rendait la tâche des maîtres particulièrement éprouvante ; un certain malaise enseignant, qui ne résultait pas seulement de la difficulté de la tâche mais, de façon plus insidieuse, des critiques adressées au système scolaire ; le tout résultant indiscutablement d'un choc de cultures encore vivace qui n'avait pas dit son dernier mot. 

    Le malaise enseignant

    Si le trouble était assez général dans la population calédonienne après les évènements douloureux des années 80, il prenait chez les enseignants des formes plus spécifiques. 

    Le rendement du système scolaire calédonien, encore très inégalitaire en première lecture si l'on considère les résultats en termes d'ethnies, ne pouvait qu'attirer la critique des observateurs extérieurs. Mais ces critiques, souvent développées hors contexte devant les instances internationales, ne pouvaient à leur tour qu'irriter et blesser les acteurs d'un système qui, compte tenu de la difficulté des problèmes de leur tâche et du sérieux avec lequel la plupart d'entre eux l'abordaient, s'identifiaient à leur fonction.

    Pourtant, rarement conscience professionnelle et conscience politique n'auront été aussi subtilement solidaires que chez les instituteurs rencontrés en Nouvelle Calédonie à cette époque. Phénomène discret mais bien réel, un peu comparable – si tant est que l'on accepte cette comparaison – à l'épisode historique des "hussards noirs". La légende et l'imagerie gratifiante en moins, car plus rares étaient les maîtres qui, en Nouvelle Calédonie, pouvaient se sentir parfaitement maîtres du jeu et professionnellement gratifiés par les résultats de leurs élèves. 

    Sociologues et historiens développeront ces thèses qui, pour nous, se résumeront à un seul constat : une formidable attente de solutions efficaces qui pourraient aider les maîtres à faire face aux difficultés pour reprendre la main dans les situations les plus critiques. Si la PMEV a pu répondre ici à leurs attentes, il n'est pas moins vrai que la PMEV a été portée par ces attentes.


    Le problème de l'absentéisme

    C'était un problème partout préoccupant, très lié à celui du rendement scolaire dont il pouvait être à la fois cause et effet. Si la nécessité et la volonté politique de le résoudre étaient fortes, les solutions habituelles restaient d'usage délicat. Pour mille et une raisons, les pressions administratives habituelles étaient de fait impraticables. On avait même atteint dans certains cas un stade où le retour en classe de quelques éléments consolidés dans l'absentéisme n'irait pas sans poser d'autres problèmes, et la seule solution consistait en un traitement pédagogique énergique mais encore hypothétique qui tenait de la gageure : donner à l'enfant l'envie d'être en classe et lui faciliter le comblement de ses retards.

    Cette situation relativement critique avait cependant le mérite d'être mobilisatrice. Mais si les maîtres étaient prêts à s'engager, encore fallait-il que ce soit sur des perspectives efficaces et peut être audacieuses. La réforme des cycles n'offrait pas de solutions clés en mains, mais elle pouvait contribuer à les rechercher : faire en sorte que l'enfant ait envie d'être en classe, mais sans démagogie ; faire en sorte que le rattrapage des élèves en difficulté se fasse sans trop de problèmes et de surcroît, selon le bon usage administratif, à moyens constants…. Certes, mais comment …? 


    Le choc des cultures

    Il est indéniable que le choc des cultures, source majeure des problèmes que nous avions à traiter, aura également apporté sa part dans la solution des problèmes posés.

    Les colonisateurs avaient rencontré en Nouvelle Calédonie une culture un peu vite classée, au vu de ses outils, comme relevant de l'âge de la pierre, mais socialement avancée. Une culture qui ne connaissait pas l'écriture mais allait s'en emparer à son tour, qui ne connaissait pas davantage l'école mais savait pourtant transmettre ses savoirs, de génération en génération et depuis des siècles.

    Si cette situation complexe ne facilitait pas la tâche des maîtres, elle allait contribuer à l'émergence d'une idée quelque peu iconoclaste puis favoriser un regard différent sur les dysfonctionnements de l'école. En se focalisant de façon trop radicale sur l'enseignement, l'école n'aurait elle pas quelque peu oublié l'apprentissage ? En développant son discours sur l'égalité, n'avait-elle pas sous-estimé des manières d'apprendre qui eussent pu aider d'abord à la mieux construire ? En cherchant à cultiver les Valeurs, s'était-elle bien libérée de préjugés pouvant l'empêcher de les construire ? 

    Sans entrer dans le détail, on retrouvait dans ces questions déviantes bien des apports des sciences de l'éducation, mais surtout une suggestion très marginale du Professeur Maurice Reuchlin dont la PMEV allait progressivement vérifier la pertinence et faire un point d'appui central pour repenser le fonctionnement et l'efficacité de l'école. 
     

     

    Epilogue

    Les situations difficiles, on le sait, ont souvent été porteuses de progrès. Elles constituent la source jamais tarie de tout ce que les hommes ont imaginé au fil des temps pour maîtriser leur destin, ce qu'on appelle généralement la culture. La culture, ou les cultures, car celles ci sont diverses, souvent contrastées ou même parfois opposées. Mais, au delà du choc initial des cultures, apparaît alors une nouvelle vision du monde, et on peut constater que la PMEV le vérifie à son tour. A la mesure certes de ses modestes moyens et dans le cadre un peu restreint du monde de l'enseignement, mais avec un impact en termes d'efficacité des systèmes et de problématique démocratique qui justifiait une diffusion sortant de son cadre initial de référence. 


    Michel Monot, 2004

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  • La PMEV s'est-elle inspirée de la Pédagogie Freinet ?


    La pédagogie Freinet pèse d'un tel poids en France que répondre par la négative n'aurait aucun sens. Il a cependant été nécessaire de mettre la PF entre parenthèses pour concevoir la PMEV, et même en quelque sorte de "tuer le père" comme on dit parfois, et cela pour deux raisons :
    d'abord pour entrer dans la réflexion sur la Pédagogie de Maîtrise, dont l'éclairage est différent sinon contradictoire avec certaines conceptions de la PF ;
    ensuite pour intégrer la prise en compte de l'apprentissage vicariant, que Freinet n'avait pas évoqué parce qu'il n'en avait sans doute jamais entendu parler, ce qu'il faut peut être .regretter.

    Mais, pour passer ensuite de la réflexion théorique à l'action, la PMEV a cette fois "ressuscité" le père. Elle a repris librement des éléments de la pédagogie Freinet qu'elle a souvent du modifier ou réinterpréter, tant au plan pratique qu'au plan théorique.

    Au plan pratique bien sûr, ce qui est important puisque Freinet lui-même se défendait d'être un "maître à penser" et préférait que l'on parle de "techniques Freinet".

    Au plan "théorique" aussi, car l'une des particularités de la PMEV est qu'elle conduit à relire autrement certains apports de Freinet, tout en considérant avec subtilité qu'il ne s'agit pas là d'une trahison mais. d'une autre manière d'être fidèle.

    La formule peut évidemment prêter à rire ou même faire bondir certains, mais la position ne manque quand même pas d'arguments, qu'il faut évoquer :

    On sait que le poids des mots est important, que les vrais synonymes sont rares, chaque mot étant chargé de nuances qui le rendent difficilement interchangeable. C'est justement le cas ici avec la PMEV, qui a du se libérer du poids des mots et presque lever des tabous. L'apprentissage vicariant a quelque chose à voir avec 

    l'imitation, mais l'apprentissage n'est pas l'imitation. L'apprentissage vicariant fait inévitablement penser au copiage quand on en entend parler pour la première fois, mais l'apprentissage vicariant n'est pas non plus le copiage. L'apprentissage vicariant est donc d'une certaine manière en mauvaise compagnie et ce mauvais voisinage a pesé – et pèse encore - sur la prise en compte du problème. On peut pourtant légitimement se poser des questions, se demander ce qui serait arrivé si….

    Que serait-il advenu de la pédagogie Freinet si celui-ci avait connu ou entendu parler l'apprentissage vicariant ? Aurait-il vu là un nouveau chapitre, LE meilleur peut être, de sa croisade contre la Scholastique ? Aurait-il alors prôné de façon aussi insistante la créativité par le texte libre ou le dessin libre, condamnant ainsi plus ou moins implicitement tout ce qui relève de l'imitation ?

    Nous n'avons pas de réponse à ces questions un peu gratuites, mais nous savons que nombre d'objections adressées à la pédagogie Freinet seraient tombées. Car on aurait mieux interprété la consigne jugée laxiste et si ambiguë de laisser l'enfant libre de choisir son travail, dans laquelle la PMEV voit seulement aujourd'hui la liberté de choisir le moment d'aborder sa tâche, au terme d'un fructueux travail d'analyse dont elle s'attache à créer les conditions pour développer une aptitude fondamentale du métier d'élève. Car on aurait interprété de manière moins exclusive le fructueux concept de "tâtonnement expérimental", dont on peut retrouver la trace et l'efficacité dans l'apprentissage vicariant.



    Qu'est-ce qui différencie la PMEV de la Pédagogie Freinet ?

    La PF n'étant pas quelque chose d'uniforme et de figé, et la PMEV n'étant pas non plus codifiée de manière stricte, la question appelle une réponse prudente.

    Prenons l'exemple délibérément polémique mais commode du "rendement scolaire". Si nous parlons de "rendement" devant certains partisans de Freinet (nous ne disons pas "tous"), nous risquons de nous faire écorcher vif, alors que Freinet avait bien une idée en tête lorsqu'il a emprunté aux américains et adapté les fichiers de Winnetka, ou encore lorsqu'il a choisi le nom de sa "bibliothèque de travail" et le logo du forgeron qui la symbolise si bien. Et que dire de cet invariant où il affirme que l'enfant préfère le travail au jeu….

    Mais ne nous dérobons pas : même s'il vaut mieux parler de particularités que de différences, la PMEV assume les siennes sans provocation.

    Tous au collège et si possible plus loin encore, tel est la consigne aujourd'hui, bien malmenée d'ailleurs, une contrainte que Freinet n'avait pas connue et qu'il faut désormais assumer. Pour l'école élémentaire, il ne s'agit plus tant de préparer les enfants à la vie active qu'aux activités très spécifiques du collégien et futur lycéen, ce qui est une des ambitions de la PMEV

    Mais un problème surgit d'emblée. Si la PF a réussi à l'école élémentaire, pourquoi ne réussirait-elle pas non plus au collège et au-delà, ce dont certains ont déjà fait la démonstration et que d'ailleurs les Instructions Officielles elles même avaient prévu avec les "Classes de Transition"

    Sans exclure l'idée que la PF puisse se révéler utile même au collège, il apparaît nécessaire de ne pas s'enfermer dans cette hypothèse, et de travailler aussi sur une autre hypothèse, celle d'un modèle scolaire plus orienté vers les exigences du collège, en particulier sur les compétences très spécifiques du métier d'élève.

    Le même programme pour tous, est devenu un impératif, ce qui relativise le "plan de travail individuel" négocié avec le maître cher à la PF. Sans vraiment rompre avec Freinet puisque l'apprentissage vicariant est quelque chose de "naturel", la PMEV repense le problème : elle ne nie pas les différences mais elle perçoit un danger à les surestimer ; elle étayera les apprentissages mais uniformisera les contenus, l'étayage permettant de favoriser des progressions individuelles qui sans cela seraient restées moins ambitieuses, et permettant surtout de développer les compétences transversales dont une qui lui semble très importante bien que ne figurant pas clairement dans les compétences officielles énumérées par les Instructions OFFICIELLES : l'aptitude à l'analyse de la tâche, qui est la compétence la plus caractéristique du "bon élève", et donc plus généralement du "métier" d'élève.


    La PMEV peut-elle être appliquée à l'école Maternelle ?

    On pourrait presque dire que l'école maternelle fait depuis longtemps de la PMEV sans le savoir car les processus d'apprentissage vicariant y sont moins arbitrairement bridés qu'ils l'ont été dans le primaire. Mais, la notion de "programme" y étant plus relative, le concept de "pédagogie de maîtrise" ne paraîtrait peut être pas très bien adapté pour parler de l'école maternelle.

    Quoi qu'il en soit, le problème de la PMEV en maternelle ne se posait à l'origine même pas puisque le raisonnement était un peu le suivant : l'école maternelle pouvant être considérée comme l'une des meilleures du monde et donc quasi parfaite, comment pourrait-on en adapter le modèle pour l'école élémentaire sans dénaturer celle-ci, et donc dans le respect des ses programmes propres.

    Mais lorsque les institutrices d'école maternelle ont pu voir ce que l'école primaire avait fait de leur modèle, elles ont bénéficié d'un "feed-back" qui leur a paru potentiellement constructif et partiellement réinvestissable à leur niveau en vue d'une meilleure autonomie de l'enfant comme élève en puissance. On a ainsi pu voir apparaître des plans de travail destinés à apprendre aux enfants à gérer une partie de leur temps, en même temps qu'une ébauche d'étayage destinée à entraîner à l'analyse des tâches et par-là favorables à leur compréhension et à un développement langagier dans un registre un peu inhabituel mais néanmoins précieux.

    La PMEV peut-elle être appliquée dans l'enseignement secondaire ?

    Très certainement et elle l'a d'ailleurs été, dans l'enseignement de l'anglais, sous une forme directement inspirée du "modèle" élémentaire que des professeurs avaient demandé à venir observer, et cela pour faciliter l'apprentissage de l'anglais à des élèves maîtrisant mal le français. D'autres possibilités existent, y compris pour certaines classes de seconde, mais la difficulté, dans l'enseignement secondaire, est de pouvoir résoudre certaines contraintes d'emploi du temps. Actuellement, notre recherche ou nos préoccupations nous portent moins dans cette direction que dans la possibilité d'envoyer au collège des élèves bien préparés à s'y adapter.


    Pourquoi la PMEV n'est-elle pas plus connue ?

    Il est difficile de le savoir mais nous sommes tout aussi étonnés de voir que la PMEV, à l'origine simple application de la politique des cycles, commence à être déjà assez connue. La raison en est qu'elle répond à un besoin, à une demande, qui n'a pas encore été totalement satisfaite, ce qui peut laisser penser que sa progression n'est pas terminée.

    La PMEV s'est diffusée initialement grâce à Internet, et il n'y a là rien d'autre qu'une coïncidence dans le temps. La logique administrative aurait fait pencher pour une information plus classique par les canaux administratifs habituels, d'autant que les Instructions de 89 avaient bien précisé que certaines formules – et la PMEV entrait dans ce cadre - pouvaient faire l'objet d'expérimentations mais devaient alors être évaluées. Or, sur cette option spécifique qui aurait mérité un suivi attentif, ou tout au moins une sorte de "veille technologique", il n'y a pas eu à notre connaissance d'évaluation générale digne de ce nom. Il y eu tout au plus le suivi classique de l'Inspection Générale mais celui-ci, dans le cas de la PMEV, a d'emblée été biaisé, pour des raisons compréhensibles même si elles sont regrettables

    L'expérience de Nouvelle Calédonie n'était pourtant rien d'autre qu'une banale application de la réforme des cycles, centrée sur une option il est vrai un peu particulière mais très officielle. Elle était donc "normale" et n'avait fait l'objet d'aucune promotion particulière, mais elle n'avait cependant pas pu échapper à la "rumeur" : le "bouche à oreille" spontané avait attiré des visiteurs venant d'autres circonscriptions et cela finit par provoquer des réactions de rejet et de suspicion. On parla de "gourou" et le terme fut même repris par un Inspecteur Général lors de sa visite, au moins oralement. L'Inspecteur Général trouva certes l'institutrice de la première classe expérimentale "exceptionnelle", mais il ne posa pas de questions sur la méthode utilisée et conseilla la prudence. Il le fit même par écrit, ce qui était dans la droite ligne de ses attributions et compréhensible dans le contexte effectivement sensible de la Nouvelle Calédonie. Furent alors plus ou moins officiellement censurés des stages programmés sur la gestion de l'hétérogénéité, et même interdit l'accès aux résultats de l'évaluation en sixième. Le contexte sensible de la Nouvelle Calédonie pouvait expliquer bien des choses, mais il aurait pu tout aussi bien justifier une évaluation en bonne et due forme.



    Combien d'enseignants pratiquent-ils la PMEV actuellement ?

    Nous n'en savons rien et n'avons jamais cherché à le savoir. Nous diffusons une information, essayons de répondre à ceux qui posent des questions techniques, sans souci de nous compter.



    Le travail en groupes est-il utilisé en PMEV ?

    Nous préférons dire qu'il est utilisé par des maîtres pratiquant la PMEV. Il pourrait évidemment relever au sens très large d'un éclairage PMEV, puisque le travail en groupes vise lui aussi à améliorer la maîtrise des programmes et qu'il fait implicitement une certaine place à l'apprentissage vicariant. Mais nous préférons limiter la PMEV, telle que nous l'avons définie, à une pratique assez précise qui recherche une mise en œuvre méthodique des possibilités de l'apprentissage vicariant, mais qui est également volontairement limitée dans le temps. Notre ambition n'est pas de tout régenter ou de nous poser en contre-pouvoir : elle est d'aider le maître à reprendre la gestion de sa classe sur de meilleures bases, et à lui permettre par-là la possibilité de donner sa pleine mesure, qu'il ait ou non-recours au travail en groupes.

    Vous parlez " d'ergonomie " et de " rendement " : ne trouvez-vous pas ces termes un peu trop proches du vocabulaire d'entreprise ?


    Nous n'avons dans ce domaine aucune arrière-pensée. Les références au monde de l'entreprise sont évidemment gênantes, mais il ne faut pas non plus entretenir d'ambiguïtés douteuses ou de tabous. Quand nous parlons de "rendement solaire", nous pensons évidemment "rendement humain", nous pensons "efficacité des apprentissages" en sachant que l'échec scolaire n'est quand même pas une situation enviable pour ceux qui en sont victimes.

    Quant à l'ergonomie, c'est un terme un peu technique et donc un peu barbare, qui inclut certes l'idée de rendement, dont nous avons dit ce que nous pensons, mais aussi le souci du confort. Ergonomie du métier d'élève, ergonomie du métier d'enseignant, pourquoi ne pas appeler les choses par leur nom au lieu de rester dans un flou préjudiciable à l'analyse des difficultés. Ce sont là des choses que certains enseignants peuvent ne pas comprendre spontanément, mais dont ils admettent ensuite qu'elles peuvent tout changer. Quant à l'Administration, que l'on dit peu soucieuse du problème, nul doute qu'elle y viendra aussi et qu'il existe des cas où elle a déjà jalonné le chemin. Nous nous situons dans cette mouvance avec beaucoup de modestie, et nos réussites ont d'abord été mal reçues car mal comprises, mais ce ne sont là que des avatars communs.

    Par Michel Monot, 2005



    BIBLIOGRAPHIE

    BANDURA (A.), L'apprentissage social, Liège, Mardaga, 1986

    BOUCHET (H.), L'individualisation de l'enseignement, Paris, PUF, 1933

    CRAHAY (M.), L'école peut-elle être juste et efficace ?, Bruxelles, De Boeck Université, 2000

    DOTTRENS (R.), L'enseignement individualisé, Neuchâtel et Paris, Delachaux et Nestlé, deuxième édition, 1947

    FAURE (P.), Un enseignement personnalisé et communautaire, Tournai, Casterman, 1979

    GAONAC'H (D.), Manuel de psychologie pour l'enseignement, Paris, Hachette, 1995

    HUBERMAN (M.) et all., Assurer la réussite des apprentissages scolaires ? Les propositions de la Pédagogie de Maîtrise, Genève, Delachaux et Nestlé, 1988

    MOUGNIOTTE (A.), La Pratique Personnelle de l'Enfant, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 1993

    NOT (L.), Les pédagogies de la connaissance, Toulouse, Privat, 1979

    REUCHLIN (M.), Psychologie, Paris, PUF, 1985

    VIAL (J.), Vers une pédagogie de la personne, Paris, PUF, 1975

    WYNNIKAMEN (F.), Apprendre en imitant ?, Paris, PUF, Collection " Psychologie d'aujourd'hui ", 1990


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  • 4.1 – L'ÉDUCATION A L'AUTONOMIE

    par Jacques Bert et Michel Monot, 2005


    L'un des objectifs essentiels de l'Ecole de la République, qui s'érige aujourd'hui en école de la démocratie, est de former des citoyens autonomes et responsables, aptes à assumer eux-mêmes, individuellement ou collectivement, leur destin. L'objectif est ambitieux, mais il nous concerne tous et nous devons nous y consacrer.

    Si l'on part du constat que l'autonomie n'est pas innée, qu'on ne peut pas davantage la décréter, qu'elle se construit tout au long de l'enfance et de l'adolescence, et si l'on ajoute à cela que certains élèves, parfaitement autonomes dans la vie, ne le sont plus du tout en milieu scolaire, il faut se faire une raison et lever toute ambiguïté : l'autonomie de l'enfant ou de l'adolescent en milieu scolaire, écolier ou collégien, fait clairement partie de la tâche qui incombe aux enseignants.. L'autonomie que nous visons, peut-être utopique pour certains, est la capacité de s'approprier soi-même de nouvelles connaissances, d'abord à l'école puis pendant toute sa vie.

    Il parait d'abord nécessaire de sortir des lieux communs, de compléter les analyses classiques des problèmes de l'école par quelques observations simples dont la prise en compte peut s'avérer d'un grand secours.

    QUELQUES OBSERVATIONS

    du côté des élèves

    Mauvais élèves ?

    On sait qu'un certain nombre d'élèves sont en échec parce qu'il rejettent une pédagogie frontale qui veut imposer à tous le même rythme et le même mode d'apprentissage.. Pour ces élèves, il faut proposer une alternative à la pédagogie frontale traditionnelle, sous la forme d'une pédagogie individualisée qui donne à chacun le temps qu'il lui faut pour apprendre et lui laisse le choix du mode d'apprentissage.

    Mais on sait aussi qu'au même moment, dans la même classe, on peut trouver d'autres enfants en difficulté qui, eux, redoutent, au contraire, d'être confrontés à des situations de travail autonome car elles nécessitent des ressources personnelles qu'ils sont loin d'avoir acquises. Cette situation complexe, propre à alimenter les polémiques dans le monde enseignant est lourde, en tout cas, de contradictions qui peuvent paraître inconciliables.

    et bons élèves :

    Les "bons élèves" ne sont pas tant, comme on pourrait le croire en première approche, des élèves "sages comme des images" qui répondent juste à tous les coups…. A observer longuement leur comportement dans des classes très diverses, on découvre surtout des élèves qui ne répondent pas au hasard. Ils savent ou ils ne savent pas, mais " ils savent qu'ils savent ou qu'ils ne savent pas ", d'où un comportement assez caractéristique : ils répondent quand ils pensent avoir la réponse mais s'abstiennent quand ils ont des doutes.

    Ce comportement spécifique, signe de compétence et d'autonomie, doit souvent beaucoup à l'éducation familiale, mais l'école peut aussi et doit y prendre sa part, ce qui pose de manière aiguë le problème de l'efficacité des apprentissages et des méthodes pédagogiques. En termes d'efficacité des apprentissages, toutes les méthodes ne se valent pas, et c'est encore plus vrai pour ce qui concerne l'autonomie de l'apprenant, qu'il soit écolier ou collégien.

    Du côté du "système"

    Il y aurait beaucoup à dire mais nous serons très brefs.

    Temps officiel, temps appliqué, temps investi

    Les différences entre les horaires officiels et les horaires appliqués ne sont rien au regard des variations constatées dans le temps effectivement investi par l'élève dans sa tâche, variations qui posent là encore le problème des méthodes pédagogiques. Le problème est complexe, difficile à aborder car on pourrait croire qu'il met en cause le principe sacré de la liberté pédagogique, liberté indispensable dans une profession qui exige un investissement personnel de qualité. Mais il n'est pas pour autant insoluble, et les enseignants qui ont adopté les démarches de la PMEV pour tenter de résoudre ce délicat problème de "temps investi" admettent que leur liberté n'est nullement remise en cause et qu'elle n'a même jamais été aussi grande .

    Le difficile contrôle des horaires

    Le contrôle des horaires appliqués et du respect des programmes, tâche traditionnelle mais non unique des corps d'inspection, a parfois été mis en cause, au nom notamment de la grande diversité des situations ou des différences de rythmes d'apprentissage. Les maîtres pratiquant la PMEV, non moins soucieux que d'autres de l'importance des enjeux et de leur propre efficacité professionnelle, sont confrontés, par leur pratique, à une difficulté plus grande de contrôle des horaires appliqués. Mais ils tiennent, sans malice, le raisonnement suivant : si l'horaire préconisé dans une discipline autorise un volume d'apprentissage déterminé, et que ce volume d'apprentissage a été atteint, c'est que le dit horaire a été appliqué ou, du moins, l'intention du législateur respectée.

    Vers une solution ?

    La PMEV n'a pas cherché à innover, même s'il est vrai qu'elle peut surprendre. Elle n'abandonne la conduite frontale de la classe que pour mieux retrouver, dans la durée, une progression relativement frontale de la classe. Elle ne met les élèves en autonomie que pour mieux apporter à ceux qui en seraient déstabilisés des éléments propres à les sécuriser et à étayer leur progression.

    Observer et comprendre ce qui se passe dans les apprentissages, comme le prescrivaient les Instructions Officielles de 1989, c'est parfois découvrir qu'un enfant s'est sorti d'affaire tout seul, comme un être déjà autonome. C'est admettre qu'il était le mieux placé et déjà suffisamment aguerri pour comprendre sa situation et se repositionner de lui-même. Ces prises de conscience spontanées sont assez fréquentes en PMEV, du fait d'un mode de fonctionnement particulier qui privilégie l'étayage plutôt que la guidance, et ces mots n'ont évidemment pas le même sens, l'un tendant vers la liberté et l'autre, dans les conceptions généreuses mais excessives que l'on en rencontre parfois, vers un dangereux assistanat.

    VERS L'AUTONOMIE

    Les diverses options pédagogiques de la PMEV, adoptées pour faciliter la maîtrise des apprentissages essentiels du "métier" d'élève en tant que préalables à l'autonomie future de l'adulte, ont effectivement permis de mettre en œuvre des processus dont les effets à plus long terme ont pu paraître inattendus mais en tout état de cause prometteurs.

    Des raisons techniques, inhérentes à cette option "vicariance", imposaient de laisser l'enfant choisir sa tâche. Cette nécessité a permis de préciser et d'activer ce qui est sans doute un des meilleurs atouts de la PMEV.

    Le plaisir du choix

    Pouvoir choisir est, pour le plus grand nombre, synonyme de plaisir. Le plaisir du choix favorise donc l'acceptation de la contrainte scolaire et l'engagement de l'élève dans sa tâche, ce qui est déjà beaucoup, mais le plus important est ailleurs, dans une perspective ouverte en matière de "profil scolaire" qui autorise à parler de "construction d'un profil de bon élève".

    La nécessité du choix

    Sans prétendre à l'exclusivité, la PMEV propose à ce sujet une approche originale fondée sur la nécessité du choix. Pour choisir, l'élève doit d'abord se représenter la tâche à effectuer, l'analyser, faire le tri entre ce qu'il peut et ne peut pas encore faire, travail exigeant mais hautement formateur, qui peut surtout être enseigné. C'est dans la mesure où le dispositif particulier de la PMEV apporte chaque jour son petit lot d'informations complémentaires, que la nécessité de choisir se démarque du choix aléatoire et devient peu à peu un choix raisonné fondé sur des critères. Elle prend appui sur un sens qui émerge progressivement et parvient peu à peu à s'affirmer comme une véritable capacité à choisir, une compétence précieuse génératrice d'autonomie scolaire.. La liberté de choix n'est plus alors un slogan ou une option arbitraire aléatoire : elle devient sous nos yeux une nécessité puis une réalité fonctionnelle.

    Les embarras du choix

    Choisir n'est pas toujours un plaisir. Il est vrai que la nécessité de choisir est exigeante et qu'elle peut même se révéler fortement déstabilisatrice, comme nous l'évoquions plus haut à propos d'élèves parfois si démunis qu'ils ont peur de l'autonomie. Ce comportement est classique et nullement condamnable : les personnes cherchent à éviter les situations et les activités qu'elles perçoivent comme menaçantes. Ce qui serait moins acceptable, c'est que le manque d'autonomie de ces élèves serve d'alibi à un statu-quo qui les figerait dans un statut d'élève médiocre alors qu'il est possible de les en sortir.

    Pour être mise à la portée de l'élève non initié et devenir un atout entre ses mains, la nécessité de choisir doit évidemment être étayée, aussi bien au plan technique qu'au plan psychologique. Et tout le "miracle" de la PMEV est là, le "double miracle" même pourrait-on dire, puisqu'il répond à cette double exigence.

    Dans la logique de ses options, la PMEV permet d'abord de délivrer chaque jour de nouvelles bribes d'informations venant enrichir les analyses et faciliter l'évolution des représentations des élèves, consolidant et affinant par-là, tant ce travail est inlassablement repris et perfectionné, leur aptitude à choisir en connaissance de cause et à s'engager dans la tâche.

    Mais s'engager dans la tâche ne va pas de soi pour tous, en particulier pour les élèves qui, ayant parfois déjà intégré une image très négative d'eux-mêmes, relèvent en fait de la rééducation. Sans nier la nécessité d'un tel recours et sans vouloir imposer au maître une charge qui ne relèverait ni de ses compétences ni de ses attributions, la PMEV apporte les ressources de "l'expérience vicariante".

    L'expérience vicariante Il s'agit là d'un aspect important de la théorie de l'apprentissage vicariant. L'opportunité de pouvoir observer un individu similaire à soi-même en train d'exécuter une activité donnée devient une source d'information importante influençant la perception d'auto-efficacité, et son impact sur le profil d'un enfant désabusé, en échec marqué, peut se révéler déterminant. Ce processus, la PMEV le favorise, par son organisation propre, de façon en quelque sorte automatique : tel élève qui aurait déjà fortement intégré une image de soi négative pourra soudain découvrir, à la faveur de la prestation d'un camarade auquel il peut se comparer, qu'il aurait pu lui-même se montrer capable de la même prestation. Prise de conscience là encore, amélioration de la représentation de soi, qu'il reste cependant à consolider.

    Le moment de bilan est un temps fort quotidien de la PMEV et pourrait-on dire son moteur, dédié aux échanges sur le travail en cours, aux prises de repères qui vont permettre de comprendre, les plus avancés fournissant aux autres des indices, des informations, qui vont leur permettre d'effectuer les tâches qui leur étaient inaccessibles au début de la période et qui très souvent le seraient restées dans une progression frontale. Les élèves s'entraînent ainsi chaque jour à analyser et à évaluer chacune des tâches qui leur sont proposées. Cet apprentissage de l'auto-évaluation est capital du point de vue de l'autonomie : il est à la fois une conséquence de cette organisation pédagogique et un moyen d'améliorer les capacités d'apprentissage, qui vont à leur tour renforcer l'organisation pédagogique, dans ce qu'on peut appeler un "cercle vertueux". L'enfant en tire une règle de fonctionnement et de gestion de ses apprentissages qui vont le conduire à l'autonomie que nous recherchons, autonomie d'ordre intellectuel évidemment :
    1 - en se consacrant d'abord aux tâches qu'il juge à sa portée et
    2 - en recueillant les indices qui vont lui permettre de se mettre à la hauteur des tâches qui ne lui étaient pas initialement accessibles, sans recourir à des interventions magistrales.

    La PMEV permet ainsi de réguler les parcours des élèves, mais aussi de traiter ce que nous appelons faute de mieux "manque d'autonomie", manque qui résulte le plus souvent d'un déficit de savoirs et savoir-faire parfois minimes et pourtant déterminants, que la conception traditionnelle des séquences d'apprentissage ne permet pas de prendre réellement en compte.

    Un même travail peut être présenté plusieurs fois pendant la période, par exemple à la demande de ceux qui souhaitent des éclaircissements, mais aussi pour répondre à des besoins plus fondamentaux qui relèvent d'une forme de "rééducation", sur laquelle il nous paraît utile d'insister un peu.

    Dans le vécu de la classe au quotidien, le sentiment peut-être ténu et fugitif d'auto-efficacité, subrepticement apparu lors d'un bref moment de bilan et auquel le maître s'efforce d'être attentif, doit être consolidé. La PMEV, par son organisation particulière du travail en périodes longues, va le permettre. Nous allons donner à l'enfant concerné, à l'occasion d'une séance ultérieure de bilan, la possibilité de rejouer lui-même le rôle dont il vient de se sentir capable, et au besoin l'accompagner un peu dans ses efforts de rétablissement. En PMEV, nous nous donnons du temps pour venir à bout des difficultés même lorsque celles-ci ne sont plus exclusivement d'ordre cognitif. Nous acceptons qu'un élève faible vienne présenter une fiche de travail bien qu'elle ait déjà été abordée plusieurs fois. Il ne s'agit pas tant alors de vérifier qu'il a lui aussi intégré la notion abordée, puisque nous avons d'autres moyens de le faire, et il ne s'agit pas non plus de lui offrir un "petit plaisir" en lui permettant de passer à son tour au bilan. Il s'agit déjà en fait pour lui d'une restauration narcissique et d'une rééducation, mais dans un schéma qui reste ancré dans le fonctionnement normal de la classe, avec des échanges respectueux mais stimulants, des réactions toujours nécessairement encourageantes, etc..

    Il est donc important que le bilan permette de répondre à des questions qu'un élève se pose au sujet d'un exercice qu'il a abordé mais n'a pas su traiter, car c'est à partir de ces éclaircissements qu'il va souvent pouvoir se remettre à la tâche et progresser ou, plus crûment, éviter d'être "lâché". Mais il est tout aussi important que nous allions un peu plus loin, que nous sachions identifier et saisir les occasions qui se présentent d'aider un élève vraiment mal en point à se restaurer, d'autant qu'il peut s'agir d'élèves dont le potentiel intellectuel n'est nullement déficitaire, voire parfois – nous le savons aujourd'hui - supérieur à la moyenne.

    POINTS FORTS

    Avant de conclure, nous pouvons rappeler les points forts de la méthode au regard de la conquête par les élèves de leur autonomie :
    Visibilité, lisibilité, interrogeabilité

    Il s'agit, autant que faire se peut, de rendre les apprentissages et les savoir-faire visibles, lisibles, interrogeables pour permettre aux élèves déficitaires de reconstituer progressivement leur patrimoine, tant dans le domaine notionnel que dans le domaine comportemental, avec toujours comme objectif l'autonomie.

    Etayage, aptitude à l'analyse, discipline Outre ses effets immédiats sur la compréhension et l'apprentissage, le dispositif d'étayage par effet vicariant constitue un exercice permanent d'auto-évaluation formative, un entraînement permanent à l'analyse de la tâche et au développement à plus long terme de cette aptitude caractéristique des élèves efficaces et des adultes autonomes.

    Mais l'impact du dispositif sur les aspects comportementaux de la vie de la classe est également sensible et souvent presque immédiat.

    Le fait que les résultats en matière de comportements des enfants soient souvent visibles dès les premiers jours, et qu'ils n'ont pas la durée éphémère des nouveautés, facilite la mise en place de cette organisation de la classe et encourage les maîtres : tous témoignent de la disparition de l'obligation habituelle de faire de la discipline, de l'engagement réel des élèves dans leurs apprentissages et de l'amélioration progressive de l'autonomie de chacun.

    EN CONCLUSION Le recours à l'apprentissage vicariant permet l'apprentissage de l'auto-évaluation et celui de la gestion de ses propres apprentissages, qui sont des éléments clés du métier d'élève et d'une meilleure autonomie sur le plan scolaire. Ce fonctionnement permet à la fois de gagner du temps et d'investir pour le futur. En accordant à chacun le temps dont il a besoin pour apprendre - ce qui était l'objectif des pionniers de la pédagogie de maîtrise - il permet - grâce à l'éclairage spécifique du concept d'apprentissage vicariant - que le temps soit effectivement consacré par l'élève à sa tâche d'apprentissage et à la consolidation de son profil d'apprenant efficace, d'élève autonome.

    Ce gain de temps et d'efficacité chez tous les élèves a un impact sur l'anxiété du maître, amenant chez les élèves une décrispation favorable aux apprentissages. Il permet en outre d'offrir aux élèves en difficulté des éléments favorables à leur épanouissement et à leur autonomisation..

    L'intérêt de cette méthode est indéniable pour tous les enfants, et particulièrement pour ceux qui se trouvent en difficulté parce qu'un enseignement frontal homogène ne leur convient pas. On trouve dans cette catégorie les enfants en retard scolaire mais aussi tous ceux qui ont un profil atypique, et ceux pour lesquels le manque d'autonomie, en empêchant les capacités intellectuelles d'être opérationnelles, pèse souvent d'un poids important..

    En leur donnant la possibilité d'une réelle coopération dans la confrontation, la discussion démocratique sur tous les sujets et en particulier sur les sujets du savoir, puis la possibilité d'un réinvestissement dans des moments de travail personnel, la PMEV fait que les enfants développent leur liberté d'action dans le travail, et leur propre maîtrise des apprentissages. Le fait que le maître soit discret pendant le bilan, qu'il soit présent mais réservé, leur apprend véritablement à prendre en charge eux-mêmes, au quotidien, la construction de leur savoir.

    4.2 – LA GESTION DE L'HÉTÉROGÉNÉITÉ


    QUELLE HÉTÉROGÉNÉITÉ ?


    Dans un rapport de l'Inspection Générale de l'Education Nationale, remis au Ministre en mars 2000, Alain Boissinot, inspecteur général, écrit que même si l'on restreint la notion d'hétérogénéité à celle qui existe entre les élèves au sein d'une même classe, telle qu'elle est perçue par les enseignants, celle-ci reste ambiguë. " Elle peut désigner l'hétérogénéité des performances des élèves, telles que le dispositif d'évaluation conçu par la Direction de l'Evaluation et de la Prospective essaie de les analyser. Mais la notion d'hétérogénéité renvoie aussi, plus largement à un sentiment diffus exprimé par les professeurs, et qui est en fait le symptôme d'une difficulté à enseigner. Or il est difficile, à ce sujet de faire la part entre la réalité identifiable et une sorte de fantasme dont l'histoire du système éducatif montre qu'il a existé de tout temps. Même à une époque où il y avait dans une classe d'âge moins de 5% de bacheliers, certains enseignants prenaient la plume pour dénoncer l'hétérogénéité inacceptable de leur public ! " Il écrit un peu plus loin : " Des travaux comme ceux de l'Institut de Recherche sur l'Economie de l'Education (IREDU) ont montré que, contrairement aux croyances de beaucoup d'enseignants, les classes homogènes n'étaient pas celles où les élèves progressaient le plus. Au contraire l'hétérogénéité crée les conditions permettant aux élèves le plus en difficulté de progresser sans pénaliser de façon significative les plus doués. Les stratégies d'évitement de l'hétérogénéité ne constituent donc pas la bonne solution. "

    Si l'on admet que les élèves sont différents par leurs acquis, leur comportement, leur rythme de travail, leurs intérêts, et leur profil pédagogique, il faut admettre que l'enseignant, face à cette situation hétérogène, ne peut apporter qu'une réponse hétérogène.

    QUELLE DIFFÉRENCIATION ?


    En 1995, dans le N° 34 de la revue " Rencontres pédagogiques ", publié par l'INRP, on trouve un article intitulé " La gestion de l'hétérogénéité ", dans lequel on peut lire ceci : " Avant toute chose, il convient de rappeler une évidence : toute classe est par nature hétérogène. Hétérogénéité :
    des sexes, depuis trente ans dans le primaire, près de 40 ans dans le secondaire,
    des âges, y compris au sein de la même année civile : que de différences, de maturités notamment, entre les élèves nés en début d'année et ceux nés au dernier trimestre toujours les plus nombreux, à tous les niveaux du cursus scolaire, parmi des élèves en difficulté (pris en charge par le RASED, maintenus dans le cycle et redoublants, " orientés " vers des structures spécialisées...)
    des appétences scolaires et des motivations liées entre autres, aux espoirs placés dans l'école pour réaliser son projet personnel,
    des compétences et savoir-faire dans les différents domaines de connaissance ainsi que dans les processus d'apprentissage,
    des cultures et modes de vie en liaison avec les diverses représentations de la société générées par l'appartenance familiale et sociale.

    À partir de ce constat, la première réponse a été de considérer ces différences comme des obstacles à l'enseignement, des déficits, des déviances, des déficiences voire des handicaps par rapport à l'élève-type mythique, avec pour corollaire la recherche de l'homogénéité, quête toujours renouvelée mais jamais satisfaite.

    L'exigence accrue de démocratisation des études et le refus de tous les déterminismes menant à la "reproduction" conceptualisée par Bourdieu ont conduit alors nombre d'enseignants à "faire leur deuil des certitudes didactiques", comme l'écrit Philippe Perrenoud, et donc à reconsidérer positivement les différences.

    Différencier sa Pédagogie s'est donc s'efforcer de " tirer le meilleur parti des possibilités de groupement et d'interaction " entre élèves en "jonglant avec les contraintes de temps et d'espace" puisque, selon Halina Przesmycki , la pédagogie différenciée se définit comme :
    "une pédagogie individualisée" qui reconnaît l'élève comme une personne "ayant ses représentations propres de la situation de formation" (au sens large du terme )
    "une pédagogie variée qui propose un éventail de démarche" selon des rythmes d'apprentissage différents, dans des durées variables, par des itinéraires diversifiés, sur des supports différents et dans des situations non identiques.

    Quatre pistes s'ouvrent alors dans la pratique : différenciation par les procédures, différenciation par les ressources disponibles et les contraintes imposées, différenciation par les rôles, différenciation par la tâche :
    Différenciation par la tâche : mise en place d'ateliers qui peuvent être des ateliers de soutien, de choix, de besoin, d'entraînement, ou d'approfondissement.
    Différenciation par les rôles : les élèves jouent des rôles différents. Les compétences variant selon les rôles, on répartira donc les élèves en tenant compte des compétences et des besoins d'apprentissage de chacun.
    Différenciation par les ressources disponibles et les contraintes imposées : pour l'enseignant, il s'agit d'adapter la situation de référence, qui est la même pour tous, aux capacités et aux besoins d'apprentissage actuels des élèves en choisissant soigneusement les valeurs données à certaines variables de la situation : ressources disponibles, contraintes imposées (temps d'exécution, support, nature de la production orale ou écrite).
    Différenciation par les procédures : pour l'enseignant il s'agit d'accepter, de valoriser, le fait que, dans certaines activités, chacun trouve sa propre solution, avec ses propres procédures, sans que soit établie une hiérarchie entre celles qui sont apparues dans la classe.

    L'idée de mise en commun, d'échanges, de débat se substitue alors à celle de correction dans laquelle une seule réponse, magistrale, est attendue, et une seule bonne réponse recopiée. La mise en commun peut être l'occasion d'analyser certaines erreurs, de distinguer, par exemple, avec les élèves :
    celles qui sont le signe d'une mauvaise interprétation de la situation
    celles qui révèlent une mauvaise gestion d'une solution par ailleurs viable
    celles qui traduisent des erreurs d'exécution (de calcul par exemple). "

    LES PRATIQUES


    Quant à l'idée qu'on peut se faire de la gestion de l'hétérogénéité telle qu'elle se révèle sur le terrain, Michel Monot a pu, au cours de sa carrière d'Inspecteur de circonscription, analyser de nombreux aspects de la pratique enseignante. Voici ce qu'il en écrit : " La gestion des classes hétérogènes, qui est difficile, peut prendre plusieurs orientations. En simplifiant quelque peu, on trouve deux grandes tendances : travail axé plutôt sur les forts, ou travail axé sur les faibles, chaque formule ayant ses avantages et ses limites. Mais l'analyse attentive de ces deux orientations permettra d'en suggérer une troisième.

    1 – Travail axé sur les forts


    Si le travail est axé sur les forts, les écarts entre élèves se creusent Lorsque le maître organise son travail en fonction des élèves forts, ceux-ci progressent, mais le risque est que les faibles en profitent peu et tendent à végéter. Ce risque réel conduit à porter sur les classes qui fonctionnent ainsi, au nom de l'égalité des chances, un regard critique qui est cependant loin d'être entièrement justifié.

    L'habileté de l'enseignant à tirer parti des "locomotives" tempère souvent en effet les inconvénients de cette formule et mérite même un examen attentif, en ce qu'elle peut nous aider à formuler des propositions pour une meilleure efficacité du système.

    Cette habileté de l'enseignant fait appel, de façon plus intuitive que raisonnée mais néanmoins efficace, aux caractéristiques de l'apprentissage vicariant, dans lequel le modèle de l'élève fort peut être utilisé par l'élève faible.

    Mais si l'apprentissage vicariant est effectivement en jeu dans cette situation, l'observation montre qu'il est néanmoins sous utilisé. Cette manière de conduire la classe reste en effet assez fortement aléatoire, car soumise à la disponibilité du maître, à son profil propre, aux circonstances, à la présence d'observateurs, etc.. Cette pratique favorise des leçons brillantes, très séduisantes lors des visites de classe ou des inspections, mais l'analyse montre que le jeu du " modeling " reste toutefois assez limité, qu'il concerne surtout les élèves dont le niveau est proche de celui des meilleurs.

    Ce constat ne vaut pas condamnation, mais il autorise à rechercher des conditions de mise en œuvre de l'apprentissage vicariant encore plus efficaces : moins purement intuitives, moins conjoncturelles, plus structurelles, pouvant toucher un plus grand nombre d'enfants sans être tributaires de la disponibilité du maître et pouvant même renforcer cette disponibilité.

    En bref, ce constat suggère de rechercher une mise en œuvre plus systématique voire, dans une certaine mesure, quasi automatique des processus utilisés par les "bons" maîtres.

    La classe vicariante naît alors, qui apparaît comme une transposition majorante du bon modèle traditionnel. Elle va reposer sur une réorganisation du temps et de la classe, qui s'efforcera en particulier d'assurer une meilleure lisibilité des atouts dont disposent les bons élèves.

    2 – Travail axé sur les " faibles "

    Si le travail est centré sur les faibles, les écarts se réduisent mais... Lorsque le maître organise son travail de façon à pouvoir venir en aide aux plus faibles, ces élèves faibles progressent, grâce à la forte implication que le maître consent en leur faveur. Mais les élèves forts, qui sont alors parfois sous sollicités ou abandonnés à eux-mêmes, tendent à végéter et à se désintéresser de la classe : on parle vulgairement, dans cette situation de "rabotage par le bas".
    L'habileté du maître peut évidemment chercher à corriger cette tendance, mais assez difficilement, pour plusieurs raisons : - 1. Le travail avec les élèves faibles est en général assez éprouvant, même pour un maître agissant généralement au nom de fortes convictions humanistes.
    2. Ces fortes convictions humanistes, précisément, placent de surcroît le maître dans une situation inconfortable, car il peut éprouver un sentiment de culpabilité devant les élèves plus doués dont il est conscient de ne pas exploiter au mieux toutes les potentialités.

    Ce problème appelle un examen attentif, car une "double contrainte" est difficilement supportable : le sentiment d'insatisfaction éprouvé par le maître, qui ajoute à la difficulté propre du travail avec les faibles, pèse sur l'atmosphère de la classe et sur le dynamisme du maître.

    Une telle situation est trop grave pour ne pas être prise sérieusement en compte par les responsables des classes difficiles. Ils peuvent alors trouver, dans les solutions fondées sur l'hypothèse du psychologue Maurice REUCHLIN, une alternative intéressante

    Le principe est simple, qui consiste à débrider l'activité des élèves forts pour pouvoir l'utiliser au bénéfice des élèves faibles, mais sans recourir au monitorat :

    Dans le monitorat, le maître délègue à un élève fort une fonction de "sous-maître" qui s'exerce en partie au détriment de sa propre progression. La valeur morale de cette activité de soutien ne nous échappe pas, mais elle n'autorise pas à suspendre la réflexion. La démarche que nous préconisons est différente : au lieu de porter ses élèves faibles à bout de bras, le maître va leur permettre de s'appuyer sur les élèves forts en rendant plus visible, plus lisible, la progression de ces derniers, de même que les compétences qu'ils mettent en œuvre. Le problème devient alors celui de l'organisation de cette activité de repérage et de la régulation du dispositif, qui reste constamment placé sous le contrôle du maître mais tend en réalité à alléger considérablement sa charge tout en bénéficiant à l'ensemble de ses élèves, qu'ils soient "forts" ou "faibles".

    L'OPTION VICARIANTE


    Exploiter l'hétérogénéité

    Les écarts entre élèves peuvent générer une dynamique profitable à tous... Cette belle affirmation provoque immanquablement des tollés. De fait, l'hétérogénéité des classes est un vrai problème et sa gestion ne va pas de soi. Les déclarations d'intention ne suffisent pas et le passage à l'acte est beaucoup plus facile à proclamer qu'à réaliser.

    Si les situations d'hétérogénéité sont effectivement potentiellement auto-réductrices, elles ne le sont pas spontanément. Pire : non traitée, l'hétérogénéité brute d'une classe donnée ne peut libérer qu'une part infime de son potentiel auto-réducteur ou même s'aggraver en se compliquant progressivement de désordres importants (bruit, dissipation, violence, etc..) qui sont devenus un fléau dans certains collèges.

    L'école élémentaire, en raison de ses particularités, offre un terrain relativement favorable au traitement de l'hétérogénéité, ce qui commande d'agir vite : on a beaucoup dit que le collège ne savait pas assez bien traiter l'hétérogénéité, on n'a pas assez vu que l'école élémentaire, plus à l'aise sur ce terrain, pouvait faire encore mieux et faciliter la tâche du collège.

    L'observation des classes hétérogènes parmi les plus performantes permet d'imaginer, à la lumière des suggestions du psychologue Maurice REUCHLIN, une mise en œuvre de l'apprentissage vicariant moins dépendante des aléas de la prestation magistrale car prenant appui directement, avec une efficacité accrue, sur une organisation spécifique de la classe et du temps. Moins conjoncturelle donc et plus structurelle.

    La formule retenue dans notre approche n'appelle qu'un minimum de ruse pédagogique et une vision plus systémique des problèmes. Elle emprunte beaucoup à l'héritage méthodologique de Freinet dont elle tend cependant à infléchir certaines caractéristiques en fonction des exigences propres de l'apprentissage vicariant.

    Avantages pour les maîtres Leur tâche étant significativement transformée et son efficacité accrue, leur fatigue apparaît moindre. Leur sentiment de sécurité est renforcé et leur disponibilité à l'égard des élèves bien meilleure.

    Avantages pour les élèves Les processus vicariants ne contribuent pas seulement à améliorer, comme il était attendu, leurs apprentissages, en leur fournissant des éléments d'information adéquats. Ces processus ont également des effets induits positifs notables :

    a) Le processus d'apprentissage socio-constructif par observation relève, par définition, de l'intra-activité et de l'interactivité. Il développe des conflits intra-cognitifs et des conflits socio-cognitifs, qui mettent en jeu la parole intérieure et les échanges verbaux, éléments clés des situations d'apprentissage.

    b) Le cheminement de l'élève procède d'une sorte de tâtonnement expérimental, qui fait appel au processus classique du raisonnement hypothético-déductif dont certains enfants en difficulté sont spécifiquement démunis, et qui est très favorable au développement de l'intelligence (éducabilité cognitive).

    c) Ces processus développent également une forme d'auto-évaluation qui favorise l'émergence d'un profil de "bon élève", celui-ci se caractérisant notamment par sa capacité à évaluer avec précision sa situation au regard d'un apprentissage donné..

    L'intensification du processus vicariant profite conjointement, dans les classes utilisant la formule, aux élèves forts et aux élèves faibles. Mais le processus vicariant, précieux pour les élèves en difficulté, vaut aussi pour les situations de moindre hétérogénéité. Dans les bonnes et très bonnes classes, les élèves ont des profils "bons" voire "excellents" mais cependant "différents" : les "matheux" ou les "littéraires" peuvent offrir par exemple, chacun dans leur dominante, des possibilités d'étayage intéressantes pour ceux dont le profil correspondant est moins favorable.

    Mais nos considérations sur la gestion des classes hétérogènes ne prétendent pas à l'exhaustivité. Elle n'ont qu'une valeur d'illustration, et si elles peuvent faciliter la prise en compte d'une hypothèse de travail injustement restée dans l'ombre, elles reposent sur des tendances appréciées et non pas mesurées.

    Les deux premiers profils de gestion, tendance "forts" ou tendance "faibles", correspondent à une réalité communément admise, même si la plupart des enseignants concernés cherchent néanmoins à se fixer, avec plus ou moins de bonheur, sur un niveau moyen. Le troisième profil, spécifique d'une utilisation rationnelle de l'option vicariante, reflète lui aussi une réalité tangible, non mesurée mais confirmée statistiquement par les maîtres expérimentateurs. Des maîtres très qualifiés, correspondant initialement aussi bien au profil de gestion "forts" qu'à celui du profil "faibles", qui n'avaient aucune raison de modifier leur pratique de classe habituelle, ont reconnu les mérites du profil à dominante "vicariance" et l'ont adopté, affirmant même avoir ainsi "redécouvert" leur métier.

    On doit en outre noter un autre élément significatif, qui concerne l'accueil des élèves relevant de l'A.I.S..Cet accueil semble beaucoup mieux accepté dans les classes de type "vicariant", et les signalements d'élèves en difficulté aux "réseaux d'aide et de soutien" provenant de ces classes sont également plus rares.

    Les échanges que nous avons pu avoir avec des formateurs de la spécialité A.I.S. semblent suggérer que ce type de classe "ordinaire" apparaît très complémentaire de l'action conduite au sein des R.A.S.E.D.. Son action préventive sur les difficultés scolaires mérite d'être soulignée et elle devrait être encore mieux étudiée, d'autant qu'elle semble contribuer à prévenir les "dérives" qui affectent inévitablement les R.A.S.E.D lorsque ceux-ci sont surchargés de cas atypiques et détournés de leur fonction originelle au profit d'actions de "soutien" ou de "répétition" qui ne correspondent pas à leur vocation originelle. "

    4.3 – " RENDEMENT " et ERGONOMIE


    4.3.1 – TEMPS D'ENSEIGNEMENT ET TEMPS D'APPRENTISSAGE


    Afin de mieux situer les particularités de la PMEV, Michel Monot, reprend quelques-uns des éléments d'appréciation présentés par Marcel Crahay, professeur à la Faculté de Psychologie de Liège, dans le chapitre 5 de son livre " L'école peut-elle être juste et efficace ? ". Il écrit :

    "À propos du concept d'opportunité d'apprentissage Crahay se réfère ici au modèle de CAROLL, largement pris en compte dans les travaux de l'équipe genevoise dont s'est à son tour inspiré la PMEV. "Pour CAROLL, le concept d'opportunité d'apprentissage renvoie à la quantité de temps accordé à un apprentissage pour réaliser un apprentissage donné." " Le temps nécessaire à un élève pour maîtriser un apprentissage donné n'est pas une variable immuable ; elle dépend de deux variables qui interagissent : la qualité de l'enseignement et la capacité de comprendre les explications langagières. "

    La PMEV s'inscrit dans cette perspective. La qualité de l'enseignement doit cependant être comprise au sens anglo-saxon du terme "teaching". Il ne s'agit pas tant - ou plus seulement - de la qualité des leçons, telle que nous l'avons connue jadis lors de notre formation, mais de quelque chose de plus général : TOUT ce qui peut susciter l'apprentissage. De ce point de vue, la PMEV travaille bien sur la qualité de l'enseignement, même s'il pourrait sembler qu'en PMEV..."on n'enseigne plus"…. Le second terme de l'équation de CAROLL (capacité de comprendre les explications langagières) est pour sa part développé en PMEV de façon très caractéristique lors du moment quotidien de "bilan".

    Temps alloué à l'enseignement et apprentissage des élèves

    Crahay écrit : " Une étude chiffrée sur le rendement de l'enseignement du français (langue étrangère) dans huit pays différents montre que les différences de rendement s'expliquent dans une large mesure par les différences de temps alloué à cet enseignement. Dans une autre étude, où l'on augmente l'année scolaire de dix jours et la présence à l'école de une heure par jour, on obtient une amélioration du rendement de : 34% en habileté verbale, 65% en compréhension de lecture et 34 % en mathématiques. Il semble donc que "le pourcentage de gain de rendement obtenu est toujours supérieur au taux d'accroissement temporel supposé".

    Pour Michel Monot, " La PMEV ne s'inscrit pas dans cette tendance "inflationniste" mais elle n'est pas non plus en totale contradiction avec elle. Elle joue pour sa part sur une meilleure utilisation du temps scolaire : non pas sur l'augmentation du temps de scolarisation (ou d'enseignement au sens classique), mais sur celle du temps d'apprentissage (ou d'enseignement au sens anglo-saxon), sur une certaine densification de ce temps."

    Temps alloué à l'enseignement, investissement des élèves dans les activités scolaires et apprentissages

    Michel Monot écrit : " Il s'agit ici du "temps effectivement investi par l'élève dans sa tâche", par opposition au "temps accordé à l'élève pour apprendre", distinction classique en pédagogie de maîtrise et reprise par la PMEV. Mais on ne distingue peut-être pas assez deux aspects de cet investissement : l'écoute attentive d'un "cours" et l'investissement dans un exercice ou une activité de projet ne sont pas tout à fait comparables. …/… Par delà les problèmes de motivation de l'enfant et de savoir-faire du maître, le temps investi dans la tâche souffre d'une absence de pré-requis qu'il est dans la pratique difficile d'identifier clairement et rapidement. Mais certains d'entre eux peuvent être identifiés par l'enfant lui-même en observant le travail de ses pairs.

    Ce constat tend à vérifier l'hypothèse de Reuchlin. Il est au cœur du "moteur" de la PMEV et favorise, en quantité et en qualité, l'investissement dans la tâche. "

    Comment maximiser le temps d'investissement des élèves dans la tâche ?

    Pour Michel Monot, plusieurs remarques de Rosenshine peuvent concerner la PMEV :

    Importance des variations enregistrées entre classes pour ce qui concerne le temps consacré aux apprentissages fondamentaux et le temps d'investissement des tâches scolaires
    La PMEV, sur ce point, est réputée ne pas pouvoir faire plus.

    L'investissement personnel le plus important est observé dans les classes où le temps alloué à l'enseignement est le plus élevé. Mais ne pas conclure que l'on pourrait augmenter indéfiniment le temps d'enseignement sans affecter le taux d'engagement des élèves !

    Pour ce qui concerne la PMEV, deux remarques s'imposent :
    Première remarque : En règle générale, les maîtres retiennent l'option PMEV pour ses effets significatifs sur l'engagement des élèves et sur leurs résultats scolaires. Très sensibilisés à ce problème, et soutenus par le dispositif porteur de la PMEV qui révèle ici son efficacité, ils apprennent à doser le temps d'enseignement et à le moduler en fonction de leur appréciation instantanée du taux d'engagement des élèves, qui peut subir des fluctuations saisonnières ou conjoncturelles assez diverses…
    Seconde remarque : en PMEV, le temps consacré aux leçons magistrales proprement dites est parfois réduit, mais il doit être augmenté du temps alloué aux moments de "bilan".

    CRAHAY insiste à ce sujet sur l'ambiguïté du terme "enseignement" et précise à juste titre : "Dans le mode francophone, le terme "enseignement" est connoté négativement. Enseigner c'est "transmettre à un élève, de façon qu'il comprenne et assimile, certaines connaissances". (Robert) En anglais, le terme teaching a une portée plus large puisqu'il recouvre toutes les activités produites par un individu pour susciter l'apprentissage d'un ou de plusieurs autres. Nous invitons nos lecteurs à donner au terme enseignement la signification correspondant au terme teaching." (Crahay, page 400)

    - Rosenshine : le non-engagement dans la tâche

    Rosenshine distingue trois catégories de non-engagement, seule la dernière permettant d'observer des différences entre les classes performantes et les autres. Mais les modalités spécifiques de la PMEV, pour chacune de ces catégories, semblent cependant globalement plus favorables.

    Première catégorie : Les activités de préparation durant lesquelles les élèves taillent leurs crayons, vont chercher ou classer des feuilles d'exercice ou des documents.- En PMEV, ces activités préparatoires peuvent relever en partie de l'enseignement (au sens anglo-saxon), les élèves étant autorisés à échanger, autour des fichiers de travail, sur les exercices qui leur sont proposés.

    Seconde catégorie : Les moments durant lesquels les élèves attendent le maître pour une explication individualisée ou pour une appréciation du travail en cours. Cette catégorie pose effectivement problème en PMEV compte tenu du fait que les maîtres s'imposent un suivi attentif de chaque élève, principalement en début d'année. Ils ont alors à régler des problèmes de "file d'attente". Mais ce suivi s'exerce dans un contexte relativement porteur, le moment quotidien de bilan permettant de réduire progressivement la fréquence des erreurs et donc le poids de ce facteur.

    Troisième catégorie : Les moments de distraction durant lesquels les élèves rêvassent, se chamaillent ou discutent entre eux de sujets non liés aux apprentissages fondamentaux. Le positionnement de la PMEV semble ici particulièrement favorable. La phase de bilan étant fondée sur les échanges à propos des apprentissages et sa durée étant relativement longue, le besoin de "bavardage" est globalement atténué d'autant que les élèves s'investissent en outre plus volontiers dans une tâche qui leur a été facilitée par le jeu des échanges. De plus, les apartés sont limités mais pas totalement interdits pendant les moments de travail individuel s'ils concernent les échanges explicatifs.

    Le temps d'engagement des élèves dans les activités d'enseignement est plus élevé lorsque le maître gère le groupe de façon collective. Cette observation pourrait cependant être entachée d'erreur, car il est plus facile de repérer la distraction des élèves au cours du travail individuel que d'identifier un élève qui n'écoute pas le discours de l'enseignant mais simule l'attention.

    Quoi qu'il en soit de cette observation et de sa validité, et sans préjuger de ce que révèlerait effectivement l'analyse de séquences en classes PMEV, il convient de souligner que les élèves placés dans ce contexte sont soumis à deux particularités qui favorisent l'investissement :
    1. Les bilans antérieurs ont fourni des repères favorisant l'engagement dans la tâche.
    2. Le bilan qui succède à la séance de travail individuel favorise la mise en projet personnel de l'élève et donc l'engagement dans les activités d'apprentissage.

    Philippe Perrenoud : la logique du rendement ? Pour Philippe Perrenoud, " Accroître le temps investi dans l'apprentissage, cela pourrait vouloir dire : "expurger" la vie scolaire de toutes les pratiques, de tous les temps qui ne contribuent pas au travail scolaire. Et expurger le travail scolaire proprement dit des rituels et des routines qui ne contribuent pas à l'apprentissage. On retrouve ici la logique du rendement dans les organisations industrielles et bureaucratiques. Or, la sociologie du travail nous enseigne que c'est un combat perdu d'avance : la vie, dans toute sa complexité, se réintroduit toujours là où on croyait avoir rationalisé l'emploi du temps, l'attribution de l'espace, les gestes, les postures, les échanges, les structures de communication et de décision. On ne peut faire durer une organisation qu'en faisant la part du feu, autrement dit tout ce qui échappe à la rationalité déclarée, mais qui rend son existence possible comme groupe humain et réseau de relations. Dans l'école, la centration exclusive sur les apprentissages correspondant aux objectifs est d'autant plus difficile que la convivialité est une valeur positive pour une fraction des enseignants, à la fois comme mode de vie et comme pratique éducative. L'école n'est pas conçue seulement comme un lieu d'apprentissage, mais comme un lieu de vie que maîtres et élèves s'efforcent d'aménager pour le rendre supportable, voire agréable et chaleureux. Ils refuseront donc plus ou moins ouvertement une rationalité de l'emploi du temps qui les conduirait à être constamment centrés sur le travail proprement scolaire. "

    Ce à quoi Michel Monot répond : " Les logiques industrielle et bureaucratique du rendement étant ce qu'elles sont, et leurs excès connus, il reste que le problème du rendement et de l'utilisation du temps à l'école n'est pas un sujet honteux : il doit être posé sans préjugé, en se gardant de tout amalgame.

    Si les équilibres des "emplois du temps" officiels ne sont pas respectés, si la durée de certaines phases d'apprentissage doit parfois être démesurément allongée, c'est précisément que le problème du rendement, de l'efficacité, n'a pas été posé. Et si la pédagogie de maîtrise a voulu poser ce problème prioritairement, c'est précisément en raison du gâchis qui est parfois constaté, de la fatigue inutile de l'écolier et de ses multiples incidences, dont le "tabou" qui pèse sur le rendement scolaire peut être tenu pour responsable.

    Les logiques industrielles ont d'ailleurs admis aujourd'hui que le rendement devait être intégré dans une problématique plus large, celle du confort, celle de l'ergonomie. La pédagogie de maîtrise invite donc les acteurs de terrain, qu'ils soient enseignants ou administrateurs, à s'emparer du problème de l'ergonomie à l'école.

    La "convivialité est une valeur positive pour une fraction des enseignants", et il serait très souhaitable qu'elle le soit pour tous. Mais la convivialité est aussi un élément à part entière de l'ergonomie du travail scolaire, considérée tant sur le poste "élève" que sur le poste "enseignant". Cette convivialité implique en premier lieu une réduction de la "tension", tension qui dépend principalement de l'efficacité des apprentissages et de la manière dont le maître conduit la classe, mais également d'autres facteurs qui peuvent eux aussi être l'objet de "tabous".

    L'efficacité des apprentissages dépend fortement des outils pédagogiques utilisés par le maître, la pédagogie de maîtrise pouvant être considérée sur ce plan comme un outil particulièrement fiable.

    La manière dont le maître conduit sa classe est étroitement tributaire pour sa part de l'efficacité de ses outils, cette efficacité induisant chez le maître un sentiment de sécurité qui influe sur l'atmosphère de la classe, sur son état de fatigue, sur son caractère, etc.

    4.3.2 – L'ERGONOMIE DANS L'ENSEIGNEMENT


    Pour ce qui concerne donc ce problème de l'ergonomie dans l'enseignement, Michel Monot cite un article écrit par Nicole Devolvé et Annick Margot dans la revue " Education et Psychologie ", de mars 2001. Selon ces deux auteurs, "l'analyse du travail de l'enseignant du point de vue de l'ergonomie montre une diversité de tâches qui peuvent expliquer l'extrême fatigue de certains enseignants ou la difficulté que certains ont pour atteindre l'objectif qu'ils se sont fixé avec leurs élèves."

    Mais, pour Michel Monot, il semble en revanche plus aléatoire et en tout cas incomplet d'affirmer que "cette difficulté est en relation étroite avec les représentations mentales que les enseignants ont eux-mêmes de la situation d'apprentissage". Bien des enseignants ont parfaitement conscience de cette difficulté qu'ils découvrent le plus souvent brutalement à leur "entrée dans la vie active", en prenant conscience des limites de l'apport universitaire.

    - Modèles " linéaire ", " triangulaire ", et " complexe "

    Les auteurs de l'article opposent deux modèles qui s'opposent tous deux à un troisième :
    1°) - le modèle "linéaire" qui est "omniprésent encore, à l'heure actuelle, dans les manières de penser et dans les représentations implicites et explicites de la situation d'enseignement", mais dans lequel "la relation directe au savoir par l'élève, n'existe pas", pas plus que la "relation dialectique entre l'élève et la personne qu'est l'enseignant",
    2°) - le modèle "triangulaire", plus élaboré sans doute car riche, celui-ci, en "interactions" mais qui restent encore très imparfaites car "le contexte n'est pas intégré dans la définition des interactions", qui s'opposent à un troisième modèle, dit savamment de "l'interaction complexe", "intégrant l'ensemble des facteurs contextuels dans l'analyse de ce que fait et subit l'individu à un moment donné, tel qu'il est développé en ergonomie".

    Michel Monot écrit : " Ce modèle de l'interaction complexe que nous connaissons bien en PMEV, Annick Devolvé et Annick Margot le défendent hardiment, et c'est là leur principal mérite, même si elles l'abordent peu au plan pratique. Mais elles en vantent du moins les qualités potentielles, allant jusqu'à affirmer que cette approche systémique de la situation éducative "ouvre des voies intéressantes pour traiter la situation de travail de l'élève et aussi de l'enseignant". Elle permet en effet "d'éliminer la fatalité du bon ou du mauvais élève, du bon ou du mauvais enseignant", ce que nous avions déjà souvent souligné à propos de la PMEV, car nous pensons avec elles que "pour faire bien, il faut être bien dans sa situation de travail", et que "cette affirmation est valable pour tous les acteurs de la situation d'apprentissage : des équilibres individuels dans le travail, naîtra un équilibre renforcé pour chacun. Le mieux-être de tous en dépend." Un mieux-être sans aucun doute, mais aussi de meilleurs apprentissages, ceci expliquant cela et réciproquement.

    Michel Monot : " Il faut promouvoir une approche ergonomique "

    Pour Michel Monot, " Il faut donc promouvoir une approche ergonomique des métiers de l'enseignement, ce qui est, d'après les auteurs, un problème de représentations, sans oublier, insisterons-nous, le versus élève qui est à notre sens peut être plus "heuristique". Problème de représentations des enseignants sans doute, pour une part au moins, car nous savons bien en PMEV que nous nous heurtons souvent aux représentations de nos collègues, mais aussi problème de représentations chez les acteurs "hiérarchiques" ou "administratifs" qui n'ont pas toujours une perception très juste de la complexité de la classe.

    Philippe Perrenoud : fabriquer ses propres antidotes

    Michel Monot cite également Phillipe Perrenoud, selon lequel l'instituteur souffre d'exercer un métier qui peut parfois devenir fastidieux, mais qui réserve cependant des possibilités de fabriquer ses propres antidotes : antidotes efficaces pour le maître - ce qui est déjà beaucoup, précise P. Perrenoud – si ce n'est pour les élèves, et c'est bien là le problème.

    Pour Michel Monot, " Si cette voie complémentaire - celle ouverte par le recours à l'apprentissage vicariant - est pédagogiquement efficace, elle ne l'est pas moins au plan sociologique : A cette petite "fraction des enseignants qui s'appliquent à faire chaque année et chaque jour la même chose", sans aucun doute par besoin de sécurité, elle apporte un surcroît d'efficacité qui va les sécuriser et les conduire, nous l'avons souvent constaté, à oser affronter les aléas d'une programmation moins rigide et à se sentir comme libérés.

    A cette majorité pour qui "la vie professionnelle n'est supportable qu'au prix d'aménagements périodiques du système de travail", elle apporte une variété de situations qui rompt la monotonie de la classe et comble leur désir de changement :

    Qu'il s'agisse des contenus, car la liberté laissée aux élèves d'aborder des lectures documentaires variées introduit une richesse nouvelle et parfois imprévisible que le maître peut exploiter à sa guise ; Ou qu'il s'agisse des situations didactiques, car le temps gagné lors des apprentissages fondamentaux et la sécurité apportée par le dispositif autorisent plus facilement des innovations didactiques ;

    Qu'il s'agisse des tâches données aux élèves, car les fichiers de tâches peuvent toujours être modifiés et enrichis en fonction des occasions qui se présentent, mais aussi parce que la fréquente remise en chantier des tâches abordées permet d'en explorer la richesse plus à fond. Ou qu'il s'agisse de la manière de les évaluer, car la variété des tâches proposées appelle elle-même des exigences d'évaluation adaptées ;

    Qu'il s'agisse des modes de groupement des élèves, car l'alternance régulière de phases de travail individualisé et de phases de bilan collectif, qui reste la base de l'organisation dans notre approche de la pédagogie de maîtrise, n'exclut en rien des "variantes", d'autant plus faciles à organiser qu'elles peuvent être pilotées par le truchement habituel des fichiers : préparation de lectures dialoguées, ateliers divers, travaux de recherches en petits groupes, etc. Ou qu'il s'agisse de l'ordre de progression dans les programmes, qui bénéficie ici de la souplesse inhérente à toute organisation de travail par fiches, avec une garantie de sécurité renforcée par le recours à des apprentissages mieux étayés.

    Redéfinie sur des bases plus réalistes à partir des idées de Maurice Reuchlin, la pédagogie de maîtrise semble échapper aux risques qu'évoque Philippe Perrenoud. Loin d'appauvrir le métier d'enseignant, elle le vivifie par la richesse des apports et des réactions des enfants. La liberté qu'elle procure au maître ne menace pas davantage la rigueur des régulations : elle replace au contraire celle-ci au premier plan, en particulier lors des séquences particulières que la mise en œuvre de l'apprentissage vicariant implique d'introduire dans la classe. "

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